Les congrès du PCF

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Pas de raccourcis ! Jean-Michel Galano - 75

Un des aspects les plus graves de la crise actuelle me semble être l’incroyable régression, sidérante et de ce fait mal mesurée, du débat politique. A la fin des années 70, des centaines de milliers de citoyens en France s’étaient appropriés, avec passion, des questions économiques réputées difficiles, comme celles de la nationalisation des filiales, du financement de la sécurité sociale ou du statut de l’arme atomique. En Italie, pour prendre un pays proche, l’articulation des questions sociales et sociétales, la déclinaison de la notion d’hégémonie étaient sinon dans toutes les têtes, au moins sur la place publique. Cela fait rêver aujourd’hui : où en est-on ? Désolants débats hyper médiatisés sur la viande halal, les permis de conduire, le foulard que certaines femmes musulmanes se mettent sur la tête, comme nos mères il y a quarante ans. Promotion systématique des pires propos racistes et négationnistes. Abaissement généralisé des valeurs : De Gaulle récupéré par Morano , Simone Veil par Marine Le Pen, l’idée européenne par les ultralibéraux, le souci de la nation par les fascistes, les questions environnementales par de plats arrivistes, les idées révolutionnaires réduites à des symboles folkloriques… !

Il faut quand même se demander ce qui a pu se produire pour qu’on en soit arrivés là, ne serait-ce que pour dégager les voies d’une issue possible. Et ce qui s’est produit, ce n’est pas seulement ni même principalement la formidable dégénérescence de la culture communiste dans les pays du « socialisme réel ». Cette cause n’a joué que secondairement. Ce qui s’est produit, c’est me semble-t-il est bien plus massif : c’est le succès d’une offensive gigantesque et fort bien menée des forces capitalistes pour fabriquer une nouvelle société, une société atomisée, où les individus seraient non plus ensemble mais côte à côte, chacun dans sa petite sphère, sans solidarités, sans lien fort avec les autres, désarmé et dépouillé, avec en face de lui le capital. Individualisation de la consommation, des salaires, des valeurs, des repères. Cette société où l’on se côtoie sans se connaître, où les rapports sociaux sont placés sous le signe de l’hostilité, de la concurrence et à tout le moins de la méfiance, c’est celle des caméras de surveillance, des barrières, du repli agressif, des dépôts de plaintes, de la peur de l’autre et du tout-sécuritaire. une société où l’on ne se parle plus mais où l’on « communique ». Où l’échange marchand sert de modèle et de norme à tous les autres.

Prenons l’exemple de l’école : certains syndicats ont bien mesuré (mais ils se sont heurtés à de l’incompréhension) ce que cela voulait dire, quand Allègre parlait de « mettre l’élève au centre » : cela voulait dire : l’élève, et non la relation pédagogique, l’élève et non la transmission critique des savoirs. Au nom du nécessaire respect des personnes, on a exigé des enseignants la superficialité dans l’acte pédagogique, celui-ci étant vidé d’une partie de sa substance critique et laïque, finalisé par la seule évaluation et la reproduction de savoirs basiques. Ce « centrage » a bien entendu produit son contraire : corporatisme revendiqué chez certains enseignants, affirmation d’un intégrisme laïc tout aussi intolérant que les autres. L’essentiel ce n’est plus d’échanger, c’est d’exister, fût-ce aux dépens d’autrui. A l’école, une mission fondamentale de la République a été mise sous le boisseau. Et s’il ne s’agissait que de l’école !

D’une façon générale, les forces du capital et de l’impérialisme ont su s’appuyer sur l’exaspération suscitée par leur propre crise pour rendre crédible et séduisante la recherche de raccourcis : « On n’en peut plus, on prend le moins pire », disaient des électeurs communistes passés au vote PS. « J’en ai marre d’avoir raison tout seul », m’expliquait un excellent camarade, démissionnaire du PCF et depuis, pour le coup, complètement seul et dépolitisé. « La seule question qui vaille, c’est se débarrasser à n’importe quel prix de Thatcher, de Major et des conservateurs », m’assurait un syndicaliste de Liverpool en 1995. Ils ont eu quinze ans de régression blairiste, la guerre en Irak, le saccage de ce qu’il leur restait d’industrie et le retour des Conservateurs pour boucler le tout. Vous parlez d’un « raccourci » !

Revenons à la France : le capital victorieux a installé ses institutions, ses façons de traiter les gens dans le droit et dans les pratiques, et tend à installer dans les têtes, y compris les nôtres, ses façons de voir et de raisonner. Il est là, le piège des prétendus raccourcis. Les forces anticapitalistes ont trop souvent peur de ramer à contre-courant. Regardez le gouvernement actuel, c’en est caricatural : déchéance de nationalité, pérennisation de l’état d’urgence, ils croient qu’ils vont tirer un bénéfice de cette capitulation devant les idées racistes et sécuritaires : or c’est l’inverse qui se produit. Mais regardez ce qui se passe dans la gauche soi-disant radicale : Autain parle de décroissance et fait l’éloge de Piketty, Mélenchon expurge le programme « l’humain d’abord » de ce qui en faisait la radicalité. Tous deux s’en remettent à une réforme fiscale, parlent de désobéissance et d’insoumission sans proposer quoi que ce soit en matière de réorientation du crédit, parlent de fuir l’Europe et non pas d’y lutter, se disent « contre le nucléaire » et mettent l’écologie et la décroissance à toutes les sauces dans l’espoir de « ratisser large », détachent le sociétal du social. Satisfaisons les désirs, au moins dans les mots (il faut que la gauche « recrée des grands récits et un imaginaire », dit naïvement Autain), mais ne posons pas la question des besoins, semblent-ils dire. Et ils osent parler de fidélité aux idéaux de la gauche ?

J’ajoute qu’il est un peu trop facile, et pas très courageux, mais ô combien symptomatique, de dire que ce sont les institutions de la Cinquième R »publique qui condamneraient la gauche à jouer le jeu du présidentialisme. On peut toujours se raconter des histoires sur la conquête chanceuse du pouvoir présidentiel par un leader charismatique qui ensuite ferait élire une constituante ! La vérité, c’est que l’on gagnerait bien davantage à revenir sur le concept d’hégémonie : le pouvoir, ce n’est pas seulement le sommet de l’Etat, c’est l’ensemble des institutions, de la petite entreprise au gouvernement en passant par l’école, l’hôpital, la magistrature, les banques, la commune bien sûr, et c’est à ce niveau que les forces démocratiques vont gagner ou vont perdre. Les Grecs en font de très près l’expérience. La pratique patiente de la droite et du patronat (et de la social-démocratie !) a été de transformer tous ces échelons en autant de lieux de non-citoyenneté. Qui peut croire qu’on s’en sortira en laissant proliférer ces enclaves d’arbitraire ? Etre révolutionnaire, et Gramsci l’avait bien compris, ce n’est pas certes négliger l’acte d’Etat, c’est voir l’Etat là où il est, c’est-à-dire pas seulement à son sommet brillant et fascinant, mais aussi sur ses pentes escarpées.

L’insulte faite aux gens de gauche et aux valeurs qu’ils ont en eux n’est-elle pas de réduire ces hommes et ces femmes à des consommateurs de symboles et d’images ? Que la droite et l’extrême droite procède de la sorte avec son électorat réel ou potentiel, cela n’a rien de nouveau : « Des pains et des jeux ! », disait déjà un empereur romain. Mais que des gens se réclamant de la gauche amusent la galerie, fassent étalage de leur ego et cabotinent devant les médias, cela fait toujours le jeu de la droite : c’est se mouler dans son système de propagande. Le bouffon finit toujours par devenir le bouffon du roi, et cela, confusément, tout un chacun le perçoit.

La fierté du Parti Communiste, sa raison d’être, c’est de se tenir à distance de ces deux pôles symétriques que sont le gauchisme et le révisionnisme, l’opportunisme de gauche et l’opportunisme de droite. Il n’y a rien à céder, ni à l’un, ni à l’autre. Il y a nécessairement des compromis dans la pratique, des rapports de forces à optimiser sur le terrain. Mais les compromissions au niveau des idées, on les paie toujours un jour ou l’autre. Raconter que le FN donne de mauvaises réponses à de bonnes questions, c’est un crime. Accuser Tsipras de trahison sans rien dire sur les institutions européennes et le FMI qui lui ont mis le revolver sur la tempe et écrasent le peuple grec, c’est de l’irresponsabilité et de la lâcheté. Laisser le drapeau de la France et de l’intérêt national à ceux qui dans l’histoire l’ont souillé, c’est une faute grave. Et ce n’est pas par des postures cocardières qu’on redressera la barre, mais en défendant ce qui fait l’originalité et l’exemplarité de la France : services publics, neutralité de l’Etat, citoyenneté, droit du travail, pluralisme des partis politiques, droits syndicaux.

On ne s’en sortira pas sans la renaissance d’une véritable vie politique, faite d’acteurs et non de spectateurs. Ceux qui intériorisent la politique spectacle ou les mesures d’austérité comme une fatalité, se font avoir. Il faut avoir le courage de le leur dire et de les inciter à donner leur avis, leur véritable avis de citoyen. C’et à un remaillage en profondeur de la vie politique que le PCF s’est d’ores et déjà attelé, avec bien des lenteurs et bien des insuffisances, mais avec acharnement, et y a-t-il une autre issue ? Cette patiente élaboration n’a-t-elle pas donné, ailleurs et déjà chez nous dans un passé pas si lointain, de vrais résultats ? La politique reprend son sens quand le national n’apparaît plus comme un spectacle impressionnant ou dérisoire, mais comme le lieu où se décide la vie des gens sur le terrain, et seuls les partis politiques peuvent faire ce lien entre le local et le global, fermant ainsi l’espace aux démagogues et « sauveurs suprêmes » de tous bords.

Il y a actuellement 1 réactions

  • Contribution : " Pas de raccourcis" de Jean Michel Galano

    Je trouve cette contribution très pertinente car elle me semble répondre en grande partie à ce qui torture nombre de communistes et qui les fait hésiter entre leur engagement concret dans l'action et le débat politique, et leur "défaitisme" face au poids de l'idéologie libérale, dont personne n'est protégé, et qui conduit aux doutes et à certaines oppositions quand ce ne sont pas des divisions Oui vraiment ne prenons pas de raccourcis et travaillons en profondeur notre argumentation afin de convaincre que notre peuple a la force de changer la donne si chacun de ceux qui le compose devient acteur, ne soit plus spectateur ou suiviste car faisant ainsi le jeu de tous les opportunistes. Cette contribution de Jean-Michel prend de la force et une pertinence plus grande encore pour celles et ceux qui ont écouté Jean Luc Mélenchon hier au soir à "On est pas couché". Qui n'a pas été marqué positivement par certains de ses discours en 2012 solidement charpentés, argumentés, entrainants et répondant aux bonnes questions avec des réponses claires et qui ne laissaient que peu de place à l'ambiguïté. C'était un bon point de repère. Hélas, hier au soir, la politique avait laissé place à l'opportunisme, à l'amusement de la galerie, à l'égo et à un cabotinage frisant le ridicule. Le plus grave c'est que Mélenchon s'est livré à des attaques violentes contre des propositions qui faisaient la radicalité du programme : "l'Humain d'abord" en particulier celle sur la question de la revalorisation du SMIC et des salaires en affirmant "qu'à trop relancer la demande, les gens vont dépenser n'importe quoi et n'importe comment", n'est-ce pas l'adoption de l'idéologie de la décroissance. Les pauvres et ceux qui manquent de tout aujourd'hui apprécieront! Que dire de son passage sur le nucléaire, lamentable de mettre un trait d'égalité entre Tchernobyl et nos centrales nucléaires même si l'on sait que l'action face à la démission de l'état est plus que jamais nécessaire pour obtenir une sureté optimum. Et que dire de ses réponses ridicules sur la sortie de la France des traités européens en s'imaginant dans un duo Merkel-Mélenchon où seul compterait le poids économiques de la France sans parler une seule fois des solidarités et des rapports des forces à créer au sein de l'Europe, ni des institutions, ni du FMI. Pour terminer, pas une seule fois, le mot argent n'a pas été prononcé, les banques et les banquiers peuvent dormir tranquille. Jean Luc Mélenchon est en train de devenir le bouffon du roi, hier au soir cela était flagrant, très triste moment quand on a à l'esprit l'enthousiasme et l'espoir que ce bonhomme a pu créer en 2012! Mais il était alors dans un collectif. Dommage.

    Par chambon jean, le 21 février 2016 à 10:11.