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Art, culture et politique - Pour la reconquête d’une hégémonie culturelle émancipatrice - Alain Hayot - 13

Par Alain Hayot, Membre du CN, délégué national à la culture

 

Nous sommes entré dans une crise profonde et durable des rapports entre art, culture et émancipation, entre culture et politique. Encore un lieu commun diront certains, sans doute résignés au spectacle tragique qu’offre le monde dans lequel nous vivons. Et si c’était précisément parce que nous traversons ce moment terrible, « ce clair-obscur d’ où surgissent les monstres » dont parle Gramsci, qu’il nous faut à tout prix et de toute urgence penser à nouveau frais les liens entre une politique discréditée voire niée et une culture effacée ou plutôt livrée aux marchands du temple. Marie José Monzaind nous rappelle que lorsque la culture est attaquée il n’y a plus de vie politique et que ceux qui souhaitent soumettre la politique aux impératifs d’une gestion prétendument rationnelle mais plus surement capitaliste, s’attaque pour cela en priorité à la culture. Politique et culture sont soumises conjointement à ce que Pasolini décrit à l’aide d’une métaphore, celle de la disparition des lucioles. Quelque chose qui n’était pas prévisible a bouleversé nos valeurs, notre imaginaire, nos langages et nos comportements. Une forme de totalitarisme globalisé, financier, productiviste et consumériste est en passe de triompher, d’imposer son hégémonie culturelle et d’assurer ainsi la mise en servitude volontaire des peuples et de leurs cultures. Des œuvres, des langages, des artistes, des lieux disparaissent. La technocratisation de la culture va de pair avec la rationalisation et la standardisation de la production industrielle de l’art qui prolifèrent sur les ruines de la politique et de la démocratie. Politique et culture sont conjointement colonisées par la religion du marché.

 

Roland Gori nous rappelle opportunément que culture et politique sont indissociables et qu’il ne saurait y avoir d’émancipation politique sans émancipation culturelle et inversement. La crise politique actuelle, à laquelle personne n’échappe, est à la fois une crise de la démocratie et une crise de la culture. Sommes-nous suffisamment convaincus à gauche, au sein de toutes ses composantes, y compris au parti communiste français dont je suis membre et responsable, sommes-nous convaincus que cette crise culturelle est une catastrophe aussi grande et aussi décisive que les crises sociales et financières, économiques et écologiques. Celles-ci occupent l’essentiel des informations assénées par les médias pour qui la culture est ravalée en bout de course, à la rubrique des sorties et des divertissements. Nous-mêmes n’avons-nous pas tendance aussi à traiter des questions culturelles en fin de discours ou en dernier point des textes que nous produisons ? Comme si nous les vivons comme des suppléments d’âme dont on pourrait se passer.

 

C’est pourtant cette crise culturelle qui transforme aujourd’hui l’humain et la nature en produits normés, quantifiés, abstraits et valorisables. C’est cette crise culturelle qui fabrique l’aliénation des classes populaires, leur servitude volontaire et qui explique les difficultés que la gauche alternative dans sa diversité, rencontre pour transformer la colère sociale en force matérielle, politique et transformatrice.

Pour en avoir conscience et analyser les formes symboliques et culturelles de l’aliénation actuelle, pour s’affranchir de ses valeurs dominantes et les combattre, pour reconstruire une hégémonie culturelle émancipatrice, il faut oser l’art et la culture. Il faut croire au pouvoir de l’imaginaire et de la parole pour inventer aujourd’hui les mots, les symboles et les idées d’une alternative aux eaux glacées du calcul égoïste comme aux eaux glauques de la haine et de la barbarie qui osent à nouveau se présenter comme une voie possible.

 

C’est à une perte du sens du monde et de son devenir que nous sommes confrontés et c’est à cette perte de sens que la politique comme la culture, celle-ci étant la condition de la première, doivent s’attaquer. Il faut pour cela s’atteler à l’intelligence du monde comme nous y incite Alain Badiou dans son dernier livre ; faire surgir le partage du sensible auquel nous invite depuis longtemps Jacques Rancière; décoloniser notre pensée et notre imaginaire, processus auquel hier Aimé Césaire et Frantz Fanon, aujourd’hui Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, se sont livrés et dont n’avons pas su entendre l’urgence.

« La culture n’est pas le musée où l’on accroche des œuvres d’art aux cimaises de la société de la marchandise et du spectacle » dit encore Roland Gori ; il poursuit en montrant que « la culture est ce qui relie les humains entre eux par leurs œuvres, leurs productions, leur manière de sentir, d’éprouver, de dire et de faire ».

 

C’est en effet du pouvoir des mots qui font, comme l’écrit joliment Aragon, « l’amour avec le monde », c’est du pouvoir des symboles et des idées que nait l’engagement politique et sa capacité à écrire et faire vivre ce grand récit collectif émancipateur, libérateur des chaines avec lesquels un capitalisme de plus en plus totalitaire nous aliène.

C’est à l’aune de cette ambition que nous voulons prendre le contrepied des politiques sociales mortifères que nous combattons. Mais pour réussir cela nous devons oser un nouveau rapport entre l’art, la culture et la politique. Ayons l’audace et le courage de réfléchir, avec d’autres, aux conditions d’un nouveau souffle libérateur pour les artistes et la création artistique ; à la refondation d’une démocratie culturelle partout et avec tous, dans l’école, la cité et l’espace du travail ; à l’invention de cette mondialité culturelle, cette créolisation dont rêvait Edouard Glissant, qui seule peut nous permettre de nous affranchir du poids obsédant et répétitif des violences identitaires qui secouent un vieux monde qui n’en finit pas de mourir tandis que le nouveau tarde à naitre.

 

Clamons à tous ceux qui sont debout la nuit comme le jour, telles des sculptures d’Ousmane Sow, que leurs rêves de liberté, d’égalité, de fraternité sont les nôtres. Soyons à leur écoute et travaillons ensemble pour les atteindre. Nous sommes des millions à ne plus vouloir « d’une politique dénuée de culture et d’imaginaire, condamnée à l’ordre du conjoncturel » comme l’a si bien écrit Mahmoud Darwich. Nous sommes des millions à inventer le temps du commun, ce monde de demain qui a pour seule ambition l’avenir solidaire de l’humanité et de la planète. Alors soyons tous convaincu avec Hölderlin que « là où croit le péril croit aussi ce qui sauve ».

 

 

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le 11 mai 2016

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