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Lucidité face au numérique, pour penser le nécessaire rassemblement - Francis Velain - 92

La société s’engage rarement dans l’appropriation de nouvelles techniques sans que déjà de larges couches des classes dominantes aient perçu l’usage qu’elles pourraient en tirer. Depuis 1947, le capital sait comment et pourquoi mettre la puissance du calcul « mécanique » au centre de toute les activités économiques et sociales1. Avant même que les technologies soient mûres ! Un système technique vaut par sa dynamique, sa logique ; pas par le niveau de murissement des technologies qui y sont utilisées. Le capital pouvait donc largement anticiper tout en suscitant l’innovation en informatique, en électronique et en télécommunication : ce serait une question de temps et de moyens…
Depuis quelques 7 décennies, le capital rode son projet et ses discours. Quelles conséquences anticiper pour les relations entre capitalistes (le partage de la valeur), entre l’état et le capital (le champ de la souveraineté), entre le capital et la démocratie (la citoyenneté) ? Quels modes de vie imposer (au consommateur et au salarié) ? Que faut-il faire accepter au travail, aux nouvelles générations de travailleurs ?
Dans 10 ans, de nouvelles générations entreront en politique et sur un marché du travail dont personne ne peut présager ce qu’il sera. Nous savons seulement où certains veulent en venir et encore ! Nous pourrions être surpris : en pire. Mais nous ne pouvons présager des luttes.
Dans 10 ans, ces générations trouveront le numérique installé et elles le prendront tel qu’il sera. Sans craintes ni illusions. Contrairement à nous. Elles ne jugeront pas du Parti communiste sur le résultat de nos luttes. Les nouvelles générations n’ont jamais de mal à faire la part des choses : L’issue des combats politiques ne dit rien de la pertinence de leur contenu. Elles jugeront le PCF sur ce que nous allons défendre à partir de maintenant, à la lueur de ce que, elles, auront à défendre. Cela leur fera décider de poursuivre notre combat ou pas.
Nous avons à leur transmettre une ambition pour le salariat dans un monde qui sera, d’une manière ou d’une autre, une civilisation du calculatoire et de sociétés de la donnée.
Nous n’avons ni à refuser la perspective du numérique, ni à frétiller comme des gardons devant des technologies avec lesquelles la société commencent à jouer dans les fab-labs, les start-up, les plateformes internet ! Nous avons à penser que, ce qui est nouveau pour nous, sera le quotidien d’ici 10 ans de ceux qui poursuivront le combat.
Nous sommes devant une 4ème révolution industrielle. Tout le monde est d’accord… Nous avons donc un problème !
Des gourous, nous disent : en surfant, par nos clics, nous créons de la valeur. Nous ne sommes plus « un système de production et d’échange » mais dans un « système contributif et collaboratif ». Nous sommes des abeilles ! Et Hop ! Une Ola mondiale avec Bill Gates et ses vieux ennemis libertaires du « libre », avec la Silicon Valley et d’autres vallées en France…
Stop ! La fable des abeilles qu’on nous raconte date de 19522 ! On nous la raconte édulcorée. Dans sa version originale, elle explique pourquoi on ne peut payer les abeilles pour leur butinage, ni leur faire payer leur butinage. J’ai relu le texte original, j’ai été convaincu par les raisons invoquées. 64 ans après, le Net a son étiquette du libre butinage, je ne suis pas payé pour mes clics, je ne paie que mon droit à être connecté, et, manifestement, l’apiculteur Google fait du profit !
Suis-je exploité ? Là, entre Bill Gates, Google, moi et quelques autres, nous commençons à avoir quelques divergences… Mais puis-je croire, moi petit matérialiste, que par mon clic, je « produise » ? Un angle mort à explorer ? Avec Google et ceux qui lui achètent des données, dont on sait qu’elles ne nourrissent pas son homme mais lui permettent de travailler ? Là est peut-être la clé !
Et si mes données étaient achetées à Google par des capitalistes qui veulent en tirer avantage concurrentiel afin de vendre des produits et des services laminant la concurrence par leur pertinence, et, forcément, réalisés par quelques forces de travail exploitées quelques part dans le monde ? Ah !?
Donc, ce n’est pas mon clic qui crée la valeur, ce pourraient être quelques enfants, femmes, hommes, exploités, quelque part, par un industriel innovant ou un entrepreneur génial, ayant bien calculé mes données. Puis-je demander à être payé pour cela ? Puis-je, avec « mon capital » de données, me faire le rentier contributif des exploités de l’autre bout du monde ?
Au fait… Quel prix coûte l’achat d’un avantage concurrentiel ? Le marché des données serait-il un marché spéculatif ? Celui-ci qui maîtrise les données et celui qui maitrise le capital financier occuperaient-ils une place équivalente à l’égard des autres capitalistes qui se font concurrence à n’importe quel prix ?  Là, si j’ose poser la question, je me fâche avec beaucoup de monde…
Heureusement, le sermon des gourous retentit : « Les générations futures travailleront de manière collaborative, etc., etc… » ! Et là encore, tous ensemble, une seconde Ola.
Hélas, j’ai commencé à lire A. Smith. Quitte à faire révolution avec Mark Zuckerberg (Facebook), autant lire les mêmes livres de chevet que lui ! Je suis sûr que de son côté il lit Marx. J’en était là où Smith explique admirablement le salaire (pourquoi il faut payer la qualification ! la pénibilité !! l’intermittence !!!), l’origine du profit (« la valeur que les ouvriers ajoutent ( !!!) à la matière se résout alors en deux parties, dont l'une paye leurs salaires, et l'autre les profits ») et sa nature : « Les Profits, dira-t-on peut-être, ne sont autre chose qu'un nom différent donné aux salaires d'une espèce particulière de travail, le travail d'inspection et de direction. Ils sont cependant d'une nature absolument différente des salaires ; ils se règlent sur des principes entièrement différents, et ne sont nullement en rapport avec la quantité et la nature de ce prétendu travail d'inspection et de direction. Ils se règlent en entier sur la valeur du capital employé, et ils sont plus ou moins forts, à proportion de l'étendue de ce capital »3. Ah !?
Si je comprends bien : Le travail de la révolution numérique peut bien devenir de plus en plus autonome, collaboratif ou pas :  Ce ne sera pas un problème ! Le capital ne travaille pas, et le profit est déterminé, non par le travail, mais par la quantité de capital4. Donc, le travail sera (peut-être) plus agréable et motivant que celui du temps de Charlot des temps modernes, mais il ne généra pas forcement le capital : Mais si cela ne gêne pas le capital, est-ce une révolution ????
Qu’importe ! quand on est face à la finance, à la grande distribution, aux banques centrales peu ou prou indépendantes, aux Etats, de toute façon : il faut libérer les hommes, leur permettre de faire eux-mêmes leur économie, forcer la transparence et imposer des contrôles de communautés peu ou prou citoyennes, mais libres et indépendantes, réinventer du local et du communautaire solidaires...
Les gourous ont la solution. Certaines technologies sont des tueuses révolutionnaires ! Et Hop une 3ème Ola !
 « Cette technologie nous libère enfin de la pire des tyrannies que le monde ait connu : les Fiat currencies. Les devises étatiques sont l’origine du mal qui ronge toute l’humanité : les guerres, l’inflation, les crises économiques, l’expropriation des uns et l’engraissement d’autres, l’hypertrophie des États… Tout cela a été rendu possible par la monopolisation des devises par les gouvernements. La technologie des Blockchains remet le vrai pouvoir (Le pouvoir du Fric) aux mains des individus. C’est la devise qui fait la souveraineté, et non la souveraineté qui fait la devise »5.
Là, Hayek rejoins la Ola. J’ai un soudain doute. Il a publié en 1990, « Dénationaliser la monnaie? ». Je crois, qu’en élément de langage libéral, cela signifie « privatiser la monnaie ». Hayeck ou pas, j’ai du mal avec l’ode libertaire. Au nom de vastes et réels défis politiques, aller jusqu’à fonder la souveraineté sur la devise non étatique, la monnaie privée ou communautaire. Au final l’argent puisque « le vrai pouvoir, c’est le fric » ? Pas convaincu que cela soit le meilleur chemin vers une démocratie où chacun comptera pour un, au travail et dans la cité.
Mais j’ai un doute ! Après tout, sur le site du PCF, je lis : « Concrètement, la technologie blockchain remet en cause le monopole des états sur la monnaie et les moyens de paiement, des banques sur les transactions financières et des notaires sur les transactions immobilières. Le Bitcoin (une des crypto-monnaies d’internet) est basé sur technologie blockchain. La blockchain peut potentiellement remplacer tous les « tiers de confiance » centralisés (banques, notaires, cadastres, état-civil, et beaucoup de fonctions régaliennes de l’état) par son réseau décentralisé de confiance « pair à pair ». C’est une technologie « révolutionnaire » tueuse d’institutions centralisées »6. Ah oui, la technologie tue la monnaie monopole des états et banques centrales, mais aussi le cadastre, l’état civil, les fonctions régaliennes ? C’est bien une vraie tueuse ! Révolutionnaire ? J’aurais aimé que ce texte prenne parti ! Est-ce progressiste, démocratique, communiste ou pas ? En tout cas qu’il redonne une chance à la Politique. Nous n’en sommes pas (encore) à l’intelligence artificielle. Il faut toujours que des hommes décident de déployer la technologie…
Je vous l’avais dit ! On a un problème avec cette révolution du numérique ! Mais j’ai sauvé 2 repères dans un coin de mon cerveau.
La technologie, numérique ou pas, ne règle pas les querelles des hommes sur leurs rapports sociaux de production et d’échanges ou leurs problèmes géopolitiques. Mais ils peuvent en user pour les « régler » par la coercition (Big Brother etc.…) ou la guerre, l’économique ou l’autre.
Au temps de Marx, une révolution industrielle, aussi indiscutable que celle du numérique, traversait la société. Marx n’a pas théorisé les premiers usages de l’électron dans les télécommunications7. Il a traité le rapport social et sa logique.
D’un côté, l’exploitation de l’homme de travail par l’homme du capital ; de l’autre, l’homme du capital qui, au nom des lois du rapport social, pèse sur celui-ci, en usant de plus en plus de machines pour supprimer l’autre éléments du rapport social : l’homme de travail.
Ici, Marx ne s’est pas intéressé à la technologie de la machine mais aux fonctions qu’elle prenait en charge à la place de l’homme : la force de mise en mouvement, puis le geste. Il ne s’est pas intéressé à la manière dont l’homme allait travailler, hormis pour dénoncer les conditions de travail et d’aliénation. Il s’est intéressé aux fonctions qui restaient encore accessibles à l’homme de travail face à la machine envahissante. En son temps, les fonctions de conception et de supervision. L’intelligence !
Il a ensuite examiné les conséquences de cette dynamique d’éviction de l’homme sur le rapport social : l’armée de réserve et la baisse du taux de profit. Il a défini la réduction du temps de travail comme révolutionnaire et facteur de résolution de crise. Il a pensé la liaison de ce processus à l’appropriation sociale du capital privé comme la clé de voute de la future société.
Il n’a pas oublié de vérifier dans quelles conditions le capital pouvait détendre cette double tension du taux de profit et de l’armée de réserve. Il a pensé la possibilité d’une rupture technologique économisant le coût en capital de la machine. Il a donc ouvert la possibilité d’une révolution technologique devenant facteur de sortie de crise, au moins du point de vue du taux de profit. Sans se faire ingénieur ou scientifique pour autant. A chacune son métier.
Face à l’armée de réserve, Il a constaté que l’élargissement du champ des activités du travail, la création de gisements d’emplois nouveaux, ne venant pas se substituer à des gisements existants, dépendait essentiellement de l’avancée des connaissances scientifiques. A l’exemple de la photographie, de l’électromagnétisme, de la chimie, de la thermodynamique…
Je propose de penser la révolution numérique dans ce cadre conceptuel.
1. Le numérique autorise-t-il une baisse de la valeur de capital à mobiliser dans le système technique, à l’échelle de la société du capital s’entend ?
2. Quels champs d’activités nouveaux la science offre-telle actuellement au travail, à l’exploitation de la force de travail ? Par exemple : la découverte des ondes gravitationnelles peut-elle avoir pour conséquence d’inventer des champs d’activités pour l’homme comme le fit la découverte de l’électromagnétisme ?
Ou bien, le front actuel des connaissances propose-t-il seulement d’améliorer l’efficacité productive du travail dans les seuls champs d’activité existants, c’est-à-dire poursuivre l’économie de travail nécessaire, par des gains de productivité ou par des déplacements technologiques (L’imprimante 3D VS la fonderie et l’usinage) ?
Il faut aussi vérifier le progrès social comme possible perspective utile et efficace face au numérique.
1. Le partage actuel des richesses peut-il participer à ouvrir des gisements d’emplois nouveaux, sur le modèle de ce qui fut fait à l’occasion de la 3ème révolution industrielle, avec les activités de consommation de masse, médiatiques, ludiques et libidinales. (Michel Clouscard : Le capitalisme de la séduction) ?
2. Un meilleur partage des richesses sera-t-il suffisant face à la révolution numérique ? Ou faut-il le lier à une appropriation des moyens de productions et d’échanges ? Lesquels et comment, puisque nombre d’entre eux sont déjà mondialisés ?
Notre prochain congrès devra articuler nos réflexions sur le numérique, au débat qui s’installe autour de la 4ème révolution industrielle et au défi politique posé du rassemblement de notre peuple.
De mon point de vue, la dynamique à susciter au sein de la gauche ne doit pas seulement consister à une mobilisation anti-droite. Il faut reconstituer l’équivalent du tiers état de Sieyès. Ce tiers état était « tout » parce que son travail produisait les richesses et, (le ‘et’ est crucial), la Nation8.  Ainsi, le tiers état fit « la gauche » et imposa une nouvelle manière de faire de la politique : A gauche les partisans de l’intérêt général, à droite ceux des privilèges devenus dès lors intérêts particuliers.
Il faut donner à la gauche l’ambition d’entrainer tout le peuple. Pas seulement celle de s’entrainer elle-seule. Au nom de l’intérêt général.
Pour avancer, pensons le tiers état de 1789, rassemblé à l’ouverture des états généraux, et se divisant dès l’abolition des privilèges en une nouvelle droite et une nouvelle gauche. Pour cette droite, la révolution était terminée. Pour cette gauche, il restait à faire. Mais que restait-il à faire ? Pour les uns, coté privilèges c’était terminé mais tout n’était pas fini aux niveaux social et sociétal. Pour les autres, il y avait de nouveaux privilèges à abattre. Nous sommes encore face à ces deux positionnent mais dans un capitalisme en crise !
Là encore Sieyès offre un point d’entrée pour pousser la réflexion, sans froisser ceux qui refusent Marx. Après avoir pensé le rassemblement d’un tiers état divers (paysans, bourgeois vivant des charges de la noblesse ou de leurs privilèges, petit peuples, maître-artisans et compagnons, marchand des rues ou au long-court…), il pensa la fracture politique du nouveau régime9 : « Le désir des richesses semble ne faire de tous les Etats d’Europe que de vastes ateliers. […] Aussi les systèmes politiques aujourd’hui sont exclusivement fondées sur le travail […].  Nous sommes donc forcés de ne voir, dans la plus grande partie des hommes que des machines de travail. Cependant vous ne pouvez pas refuser la qualité de citoyen et les droits du civisme, à cette multitude sans instruction qu’un travail forcé absorbe en entier ».
Le rassemblement que la gauche doit construire aujourd’hui est celui de citoyens considérés, aujourd’hui et dans 10 ans, le numérique installé, comme des « machines de travail », par d’autres citoyens (ou pas, du fait de la mondialisation !).
Cela pose un problème théorique par rapport aux primaires.
Les primaires figent le pays dans une opposition droite-gauche de principe où le rassemblement des « hommes machines » n’est pas pensé ; alors même que les clivages partisans d’hier sont brouillés et que le front National est le seul parti à porter un étendard nauséabond au nom du peuple tout entier.
Face à cette menace de l’extrême-droite, mais aussi aux proposition de replis locaux, identitaires, communautaires, sécessionnistes, régionalistes, c’est le sens de l’intérêt général qu’il faut réinventer dans l’ensemble de la société.
Peut-on en rester à société où le travail ne peut plus faire intérêt général parce que certains en font un intérêt particulier ?

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