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Au dela de l'emploi... le travail - Pierre Bachman - 13

Le compromis fordiste – keynésien est en crise: « l'emploi » ne s'en remettra pas !

Dans nos sociétés le travail s'inscrit encore dans le « compromis fordiste ». Ce compromis est en crise profonde. Base de l'État social, il a consisté à échanger de la sécurité économique contre de la dépendance au travail, c'est-à-dire à faire payer aux entreprises le prix d'une aliénation jugée inévitable dans son principe. L'expression juridique de ce compromis a été le modèle de l'emploi salarié qui insère un statut protecteur dans tout contrat de travail. Ce statut vise à garantir la sécurité physique des travailleurs, à limiter la durée de leur travail et à leur assurer un salaire décent. Le périmètre de la justice sociale a été ainsi restreint aux termes de l'échange salarial, c'est-à-dire à des quantités de temps et d'argent, tandis que la dimension qualitative du travail, son sens et son organisation, étaient censés relever d'une pure rationalité techno scientifique. C'est ce que l'on appelle l'état juridique de subordination.

De nos jours le lien de subordination est de moins en moins protecteur. Ce n'est plus l'actionnaire qui finance l'activité, en prend le risque, en récolte les profits mais en assume les pertes. Au contraire, l'actionnaire est financé par l'activité et donc par celles et ceux qui la réalisent. L'emploi et le salaire sont les principales variables d'ajustement de la réalisation des rentabilités financières depuis maintenant près d'une trentaine d'années. La « ressource humaine » réifie le travailleur et le travail dès lors soumis aux objectifs de "compétitivité", aux normes de "l'employabilité" et aux injonctions du "management". Il découle de ces contradictions un imbroglio de droits et de normes qui tantôt rappellent la protection du salarié, tantôt la soumettent aux « lois économiques » de la bonne "gouvernance" : le droit de la libre concurrence dans un marché ouvert.

En conséquence, un des aspects fondamentaux de ce qui fait humanité se trouve d'emblée réduit pour ne pas dire aliéné par un rapport social à caractère économique où la personne au travail n'est pas considérée comme une personne et donc comme citoyenne mais comme un paramètre d'ajustement pour des calculs de profitabilité. Pourtant, le travail devrait être « la façon d'être au monde de l'homme » (Canguilhem, 1947) ou « l'activité humaine qui vise à la réalisation et à l'accomplissement de soi, à l'action sur le monde et dans le monde pour le changer et le transformer» (Robert Salais, séminaire CGT, juillet 2009).

Le compromis fordiste n'a pas d'avenir! Les sociétés sont devenues trop complexe, les besoins et les enjeux trop forts et diversifiés pour retrouver des partages entre le capital et le travail qui permette au travail , à l'homme, aux travailleurs de conserver une place où un minimum de dignité leur soit reconnu.

Refonder le travail pour sortir du carcan de l'emploi.

En d'autres termes, ne cherchons pas hors du travail, dans le temps soit disant "libre", ce qui s'enracine d'abord en lui : l'humanité, la créativité, les potentialités de liberté. En d'autres termes aussi, cessons de confondre le travail et l'emploi, c'est-à-dire l'humain et l'exploitation des humains: l'emploi est la forme juridique contemporaine d'exploitation du travail qui succède au contrat de louage de services (en France, mars 1804), au servage mais aussi à l'esclavage qui perdure dans certains pays.

Considérons seulement ce qui constitue aujourd'hui l'un des problèmes majeurs de la société : le délabrement – le mot n'est pas trop fort – de la santé au travail. Il est notoire que la santé dépasse de façon incommensurable le seul domaine médical ou des politiques publiques d'ailleurs asservie aux lois du marché. Le cadre de la « maladie » est devenu bien trop étroit, restrictif. « Prévenir » les atteintes à la santé ne saurait ignorer la nécessité urgente de « transformer les façons de travailler, et donc le rapport des salariés à la situation » (P. Davezies, dans le travail intenable).
Comment imaginer, en effet, que l'homme ou la femme au travail puisse distinguer – pire – séparer leur travail de leur vie ? Subordination, dépendance, frustration massive d'un côté, et de l'autre, à la marge, aspiration aux joies et au plaisir, à la réalisation de soi. Comme le suggèrent d'excellentes recherches actuelles, comment supporter le découpage dans le sens général de l'existence humaine de ce qui devrait être fatalement contraint, donc nocif, de ce qui resterait humain, donc émancipateur, au prix de la santé, du développement humain et collectif ? Car les activités humaines intègrent, sans conteste, cette « ambition de vivre en santé » dont parle Yves Schwartz.

Des ressources existent aujourd'hui qui n'existaient pas hier pour débarrasser le travail, dans ses dimensions concrètes, de ce qui le parasite, le rend fastidieux ou plus pénible qu'il ne devrait être : ressources technologiques, progrès technique, organisations différentes, pourvu que l'orientation de l'entreprise, de la production collective intègre la part indissoluble d'émancipation du travail, de libération des potentialités nichées au cœur des actes industrieux, au lieu de les brider. Il s'agit d'instaurer et de développer de véritables « dynamiques du travail »: il faut prendre le risque de la créativité et de l'efficacité à libérer dans le « travail réel ». Emergeraient ainsi des capacités nouvelles aujourd'hui inconnues et probablement insoupçonnées de développement humain, d'objets et modalités de production et de création, de nouvelles rationalités favorables à l'émancipation et au remembrement de la démocratie politique, économique et sociale.

Dès lors, sortir de la crise ne peut se réduire à un usage différent des moyens financiers ou à des pratiques démocratiques plus élaborées. Il ne s'agit pas que d'une crise financière ou démocratique mais d'une crise du développement humain. Fondamentalement, il faut s'en prendre à ses racines les plus profondes en plaçant le travail au cœur des processus de transformation, en lui donnant la place centrale pour le développement durable des sociétés : « l'humain d'abord ! » Puisque, rappelons-le, c'est le travail avec la pensée et le langage qui font humanité. En d'autres termes, comme le pense Alain Supiot, il faut  aller «au-delà de l'emploi » car « l'emploi ne fournit plus un cadre normatif suffisant pour assurer à tous, à l'échelle de la planète, un travail décent ».

La vraie richesse sur laquelle peuvent compter les peuples ne se trouve pas dans les coffres-forts des banques mais dans leur capacité de travail. C'est de ces capacités qu'il faut partir si l'on veut sortir des impasses actuelles et cela implique de ne pas considérer le travail comme une ressource exploitable ou un capital humain, mais comme un lieu essentiel de la réalisation de soi.

Pourtant, malgré 8 millions de personnes exclues de l'emploi ou en situation de grande précarité, malgré les bas salaires, le sacro-saint « emploi » est recherché, espéré et simultanément, trop souvent redouté car il crée de la « souffrance au travail » ou le danger de son contraire inséparable : le chômage. Les campagnes électorales affichent comme priorité « l'emploi ». Le syndicalisme revendique la création d'« emplois ». Mais parle-t-on bien de travail lorsqu'on le confond avec l'emploi alors que les salariés, constatant souvent la mauvaise qualité de ce qui est produit, disent : « c'est pas du travail »? Voici ce que déclarait Jack Ralite au Sénat le 2 décembre 2011 : "…, Quand on discute des activités humaines, c'est l'emploi qui l'emporte. On peut le comprendre du fait de la tragédie du chômage, mais, ce faisant, la problématique de l'emploi marginalise l'approche du travail, quitte à obscurcir sa nature, son rôle et les questions que pose précisément la maladie du travail. Ainsi le travail est presque devenu, dans certains propos, une branche de l'emploi. »

Conséquence : l'emploi n'est-il pas devenu le carcan du travail ?

Mener la « bataille de l'emploi » place les protagonistes sur le terrain du partage fordiste, du partage du travail dans le « marché des emplois » appelé injustement « marché du travail », avec des options différentes qui vont de la « sécurisation des parcours professionnels » à la précarité permanente et reconductible que le ministère du travail français vient d'élargir. Qui vont aussi de la réduction du temps de travail « façon syndicale » à celles vues à la « façons patronale » ! Dans tous les cas nous restons confinés à la déshumanisation et à l'asservissement de ce que devrait être le travail comme genèse de l'humain, de l'éthique, de la créativité, des valeurs et de la culture. Nous restons enfermés dans le travail aliéné.

Il est temps d'inventer la « civilisation du travail ».

Il n'est donc pas question de s'émanciper du travail en le fuyant, en l'abandonnant à "l'employeur" et à chercher « hors du travail » le bonheur car le bonheur humain doit se trouver dans sa capacité à dominer sa créativité : c'est-à-dire son travail, origine des richesses, des valeurs, des cultures. Si l'humain veut s'émanciper il doit libérer le travail de l'exploitation et inventer la « civilisation du travail ». Un tel objectif ne peut plus être masqué, ignoré. Il est urgent d'en prendre conscience et de placer les enjeux politiques et les luttes sociales à ce niveau-là.

Concrètement il s'agit dès à présent de mettre en déclin la fonction « d'employeur » pour valoriser celles des entrepreneurs, des travailleurs avec leurs capacités à créer, à produire des objets, des services et du sens, de l'éthique et du vivre bien. Dès lors, l'instauration d'une « sécurité sociale du travail » devient incontournable.

Malgré l'obscurcissement des horizons, malgré les pressions managériales, le travail même exploité, contraint, méprisé et marginalisé génère des potentialités subversives permettant de donner crédibilité à cet horizon révolutionnaire. Mais il faut pour cela observer les activités de travail telles qu'elles se réalisent au niveau microscopique, au quotidien des postes et des contraintes. Les travailleurs ont des capacités de subversion des normes, des prescriptions et des injonctions qui leur sont imposées. Ils font souvent preuve de créativité soit pour rendre leurs actes moins pénibles, soit pour leur donner plus d'efficacité productive ou tout simplement pour ce qu'on leur demande de faire puisse être fait. Les exemples ne manquent pas pour repérer cette subversion des prescriptions managériales qui contrarie tous les calculs d'apparence techno scientifique.

Ces marges de liberté sont insupportables pour les prescripteurs de la bonne gouvernance de l'exploitation du travail aliéné dans l'emploi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les équipes sont sans cesse réorganisées, les solidarités productives sans cesse rompues, les relations entre les personnes ultra individualisée, les actes sans cesse confrontés à des évaluations arbitraires quantitatives (benchmarking). Il s'agit d'écarter à tout jamais les dangers d'une explosion du monde du travail à la conquête de sa dignité et de la reconnaissance de sa place fondamentale dans le développement de la société. Plus jamais les grèves et les occupations de mai 68 ! Mais n'oublions pas que cette dictature, massivement autant qu'insidieusement médiatisée, se répand dans la société toute entière au travers de l'idéologie dominante de l'homme producteur réprimé et de l'homme consommateur extraverti… Ou frustrés lorsque les conditions matérielles qui lui sont faites lui interdisent de consommer, au risque de verser dans la démagogie, le populisme ou le repliement.

On peut simultanément repérer d'autres prémisses d'un travail libéré (plus ou moins…) des dictatures financières et marchandes : celui des services publics et de la fonction publique. Mais dans une société où tout doit être vendu ou acheté, ce sont les logiques dites de privatisations qui s'imposent alors avec la guerre déclarée aux « privilèges » des fonctionnaires ou des agents publics, aux soit disant lourdeurs et complexités des codes et statuts comme si les normes comptables, les codes et les chartes régissant les relations internationales, boursières, des transnationales étaient de la plus grande transparence et d'une simplicité exemplaire !

Que dire aussi du "travail libre" des retraités ou du travail ménager? ...

Alors, quatre propositions :

Défendre les situations actuelles, les garanties et les droits et chercher à les élargir. Un tel objectif demeure évidemment tout à fait légitime mais exige de situer cette bataille en cohérence avec une perspective libératrice fortement et clairement affichée.
Affirmer le travail comme cœur d'une démarche de sortie de crise, avec une définition du travail qui n'a rien à voir avec la torture dont il faudrait s'émanciper ! Le travail est ce qui fait humanité.
Affirmer que les travailleurs, salariés ou non, créateurs de la richesse doivent accéder aux pouvoirs pour pouvoir produire ce dont l'humanité a besoin : les sécurités pour vivre, la maîtrise et le respect des temporalités de la vie humaine et de la nature, les capacités à décider ensemble.
Engager un travail de projet et de propositions pour construire un nouvel état de droit articulant les enjeux du travail humain libéré de l'exploitation avec les mobilisations financières et les avancées démocratiques.

Il devient de plus en plus décisif est urgent d'engager massivement les idées, les réflexions et les luttes sur le terrain de ce qui nous paraît utile et nécessaire pour sortir de cette course où nous sommes sans cesse ensevelis sous l'avalanche des initiatives des dictateurs de la finance. En d'autres termes et en schématisant : arrêtons de décrire les mauvais coups qui nous arrivent, ils sont tous « sans précédent » les uns après les autres depuis maintenant plus de 30 ans ! Plaçons la bataille idéologique, sociale, politique, économique, éthique sur le terrain que nous aurons choisi en affirmant ce que nous voulons par ce que nous avons la conscience que nous le valons.

Reprenons notre travail en main ! Il est à nous pour 99%, et si on leur en laisse 1 % ils pourront s'estimer contents !

Le 29 avril 2015,

Pierre Bachman, ingénieur ECM, section d'Aix en Provence, avec la collaboration de Daniel Faïta, professeur émérite des Université.

Quelques auteurs de référence :

Yves Schwartz, Daniel Faïta Jacques Durafour, analyse pluridisciplinaire des situations de travail, université de Provence puis département d'ergologie.
Alain Supiot, institut des études avancées, Nantes.
Robert Salais, institutions et dynamiques historiques de l'économie (IDHE), École normale supérieure de Cachan, rapports Eurocap et Capright.
Bernard Friot, réseaux salariat et université de Paris Nanterre.
Michel Clouscard, le capitalisme de la séduction.
Claude Didry, IDHE, Etc.
 

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