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Pour une réappropriation collective du pouvoir de penser - Marine Roussillon - 75

Cette contribution est la version longue d’un article paru dans Carnets rouges, la revue du réseau école du PCF : http://reseau-ecole.pcf.fr/58845

« Que ceux qui se flattent de leur désespérance en tenant boutique de nos désarrois, que ceux qui s’agitent et s’enivrent aux vapeurs faciles de l’idée de déclin, ceux qui méprisent l’école au nom des illusions qu’ils s’en font, tous ceux finalement qui répugnent à l’existence même d’une intelligence collective, que ceux-là se souviennent de ces jours, car la littérature y fut aussi pour beaucoup une ressource d’énergie, de consolation et de mobilisation »

C’est ainsi que l’historien Patrick Boucheron évoquait, dans la leçon inaugurale de sa chaire d’histoire des pouvoirs au Collège de France, les attentats du 13 novembre 2015. Éloge de la pensée, de la culture, de l’éducation dans ce qu’elles ont de collectif : d’une culture commune qui nous rassemble, qui nous console sans pour autant nous rassurer, qui nous permet de ne pas céder à la peur qui paralyse mais de demeurer en mouvement. La pensée, collective, y est désignée comme une dynamique, une énergie, le moteur d’une action – de toute action possible. C’est elle qui nous rend la puissance d’agir que la peur pourrait nous ôter.
Conquérir, collectivement, le pouvoir d’agir sur le monde : c’est là le cœur du projet communiste. Dans un temps où « faire l’expérience de la politique, pour la plupart d’entre nous, c’est faire l’expérience de l’impuissance », c’est aussi, plus largement, le problème posé à l’ensemble de la société. Ce que nous indique Patrick Boucheron, c’est que cette reconquête passe par l’exercice de la pensée : un exercice collectif, libéré à la fois de la peur et du marché – qui ont souvent partie liée.

Cessons de déplorer l’impuissance de la pensée...
La revendication d’un pouvoir de la pensée portée par Patrick Boucheron a de quoi étonner. Elle rompt avec le sentiment général d’une impuissance de la pensée.
Le pouvoir – qu’il soit de droite ou socialiste – ne cesse de renvoyer les penseurs à leur inutilité. Nicolas Sarkozy est celui qui a porté ce discours de la manière la plus ostentatoire, à la fois dans les paroles (qu’on se souvienne de la polémique sur La Princesse de Clèves) et dans les actes, avec les réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais aujourd’hui, Manuel Valls va plus loin : en accusant les sociologues d’excuser le terrorisme parce qu’ils l’expliquent, il affirme non plus seulement l’inutilité de la pensée, mais son caractère nuisible. Pour Manuel Valls, penser n’est pas simplement un gaspillage de temps et d’énergie : c’est un obstacle à l’action.
La réaction des intellectuels et des forces progressistes qui se veulent héritières des Lumières à ces attaques remet rarement en cause le divorce du pouvoir et de la pensée. Tout en défendant l’intérêt de la pensée – l’importance d’investir dans l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, de continuer à lire et à écrire... – ils en déplorent l’impuissance : les partis politiques sont accusés de préférer la communication à la réflexion, on reproche aux médias de privilégier des « idéologues » au détriment des véritables penseurs... Pouvoir et pensée sont résolument séparés : comme si la pensée, impuissante par nature, avait besoin d’être relayée par le pouvoir politique pour agir. Le problème alors ne tiendrait pas tant à l’impuissance de la pensée qu’à l’impuissance du politique, qui prive la pensée du relais nécessaire pour agir sur le monde.
Et chacun se plaît à regretter un passé fantasmé, dans lequel les « intellectuels engagés » auraient fait de leur pensée une arme : Victor Hugo, Émile Zola, Louis Aragon, Pierre Bourdieu... sont érigés en figures d’une pensée à la fois individuelle et puissante, c’est-à-dire capable d’agir dans le monde pour le transformer. Le PCF n’échappe pas à cette déploration généralisée : depuis combien de congrès nous plaignons-nous qu’ « il n’y a plus d’intellectuels communistes » ?
Débarrassons-nous de la figure de l’intellectuel, car elle nous trompe sur ce qu’est la pensée.
La figure de l’intellectuel est un produit du xixe siècle et de la Révolution industrielle. Elle est l’une des manifestations de l’opposition « intellectuel » et « manuel », entre logos (langage, raison) et tekhnè (manière de faire) au fondement de l’idéologie capitaliste. Elle dissimule la dimension intellectuelle de tout travail, et la dimension technique de tout savoir. Elle incarne la pensée dans des figures de grands hommes (plus rarement de « grandes femmes »), comme si la pensée était un acte individuel. Elle occulte ainsi la dimension collective de la culture et de la création, pourtant essentielle pour comprendre son pouvoir. Finalement, la figure de l’intellectuel – qu’il soit « combattant en armure » comme Victor Hugo ou « dans sa tour d’ivoire » comme Nerval – intériorise la séparation entre pensée et action. L’intellectuel est toujours distinct du pouvoir, comme à l’écart, et c’est cette distance qui fonde sa valeur, sa légitimité : il intervient non pas depuis l’intérieur de la communauté politique, mais comme en surplomb.
La figure de l’intellectuel nous empêche ainsi de penser la dimension profondément politique, c’est-à-dire collective, de tout acte de pensée ou de création.
Rien ne sert de regretter le temps des « intellectuels engagés », car ce temps-là, qui n’existe sans doute que dans nos fantasmes, ne reviendra pas. Et ce n’est pas la faute des médias, des partis, ni des universitaires. La crise de la pensée n’a rien de conjoncturel : elle tient à l’essence même du capitalisme contemporain et au rôle nouveau qu’y jouent les savoirs et la création. Plutôt que de chercher les « intellectuels progressistes » d’aujourd’hui, attachons-nous donc à comprendre ce que devient la pensée dans nos sociétés.

... pour comprendre la crise de la pensée.
Le capitalisme contemporain est caractérisé par le rôle croissant des connaissances, des informations et de la création dans la production de valeur ajoutée. La révolution numérique et informationnelle a pour conséquence de faire de la pensée la source de richesse la plus importante. Dans ce contexte, nous assistons à un vaste mouvement d’aliénation de la pensée pour en faire une marchandise.
Google libère ainsi jusqu’à 20% du temps de travail de ses ingénieurs pour qu’ils le consacrent à des « projets personnels »... à condition d’être propriétaire des innovations ainsi produites. Le service de messagerie électronique Gmail est par exemple le produit de l’appropriation par Google du projet conçu par l’un de ses ingénieurs. Plus largement, tout un courant du management cherche à favoriser le « bonheur au travail » pour développer – mais aussi exploiter et rentabiliser – la créativité des salariés. Quelques grandes entreprises – les géants du web ou GAFA (acronyme pour Google Apple Facebook Amazon) – utilisent les données mises en ligne par les consommateurs pour en tirer profit. Chacun d’entre nous, en publiant des contenus sur internet, en utilisant le moteur de recherche Google ou la messagerie Gmail, en alimentant une page Facebook, travaille gratuitement pour ces multinationales.
Parallèlement, l’aliénation de la pensée prend aussi la forme d’une extériorisation : la part intellectuelle du travail est prise en charge par des machines qui accomplissent les tâches autrefois assurée par le cerveau humain. Ainsi, les linguistes sont de plus en plus souvent remplacés par des algorithmes capables de traduire un texte d’une langue à l’autre à partir de la simple observation des comportements liguistiques sur le web.
La chute de la banque Lehman Brothers qui a entrainé la crise financière de 2008 a révélé l’automatisation des marchés financiers. Interrogé par la Chambre des représentants à Washington, Alan Greenspan a déclaré : « je ne pouvais pas anticiper, de toutes façons je n'y comprenais rien et personne n'y comprenait rien ; le système nous avait totalement échappé ». Tout se passe comme si aucun acteur ne maîtrisait plus le système dans sa globalité. Chacun agit sans pouvoir mesurer la portée de ses actes, la mise en cohérence de l’ensemble étant assurée par des algorithmes et des machines. L’extériorisation de la pensée produit l’impuissance, et la crise s’abat sur les hommes comme un destin auquel personne ne peut plus rien.
Cette évolution du travail a son pendant dans la formation : les réformes récentes des systèmes éducatifs en Europe privilégient la transmission de compétences déconnectées des savoirs. Les salariés, les cadres, les ingénieurs de demain sauront exécuter des commandes et mettre en œuvre des protocoles mais ne seront pas en mesure d’en comprendre et d’en maîtriser la portée. L’aliénation de la pensée va de pair avec la prolétarisation de tous ceux qui pensent : enseignants, chercheurs, artistes, mais aussi cadres et ingénieurs perdent la maîtrise de leur travail.
Dans ce capitalisme nouveau, nous sommes dépossédés de notre pensée. Voilà le fondement de la crise de la pensée et de notre sentiment d’impuissance. Elle résulte de l’action conjuguée du progrès technique – apparition des nouvelles technologies du numériques, qui permettent d’extérioriser l’activité du cerveau humain dans des machines – et de la dictature de la rentabilité financière, qui met l’innovation au service du profit immédiat et de la spéculation. La crise de la pensée n’est pas un épiphénomène, une évolution accidentelle : elle est la conséquence de la forme nouvelle du capitalisme. La résoudre, c’est résoudre la crise du capitalisme en construisant et en imposant un autre modèle de société, dans lequel le progrès technique serait mis au service de l’émancipation humaine : non plus d’une pensée aliénée et marchandisée, mais d’une pensée collective libérée.

Comment nous réapproprier, collectivement et individuellement, notre pensée et avec elle notre pouvoir d’agir sur le monde ? Voilà le défi que devrait relever l’école – de la maternelle à l’université, à la recherche, à la formation continue – et avec elle les politiques artistiques et culturelles.

Pour une pensée inquiète
Cela implique d’abord de libérer la pensée de la peur : non seulement de la peur du terrorisme, exacerbée et exploitée par un pouvoir injuste et tyrannique depuis janvier dernier ; mais aussi de la peur de l’autre et de l’avenir, de cette peur qui nous fait dire que « c’était mieux avant » et qui nous empêche d’accueillir ce qu’il y a de nouveau, d’autre, dans l’avenir qui se construit. Une pensée libérée de la peur n’est pas une pensée qui rassure, une pensée qui, en assenant des certitudes, nie le nouveau et le ramène à l’ancien. Non, ce dont nous avons besoin, c’est d’une pensée inquiète, qui accueille les ruptures, les nouveautés, et les interroge, les utilise pour bousculer toutes les certitudes, pour donner à voir tous les possibles.
Comment penser face à la catastrophe – celle des attentats, celle de la crise et du chômage généralisé ou celle, plus globale, de la destruction de la planète ? Il faut échapper d’abord au refus de penser, à l’affirmation d’un impensable – Non, ça ne peut pas se passer comme ça, c’est inimaginable – affirmation qui peut prendre la forme d’un jugement excluant : c’est barbare, monstrueux, inhumain... Mais il faut aussi échapper aux explications bavardes qui s’épuisent dans l’affirmation péremptoire d’une nécessité de la catastrophe, niant ainsi à la fois la complexité du réel et l’espoir d’autres possibles : Il fallait bien qu’on en arrive là, ça ne pouvait pas se passer autrement, c’était inévitable. Tous ces énoncés ont en commun de nier la possibilité du changement, de la rupture. Ils limitent le champ de la pensée à la seule continuité. Ce faisant, ils nous rassurent, car ils confortent la réalité, en affirment le caractère certain et immuable. Mais du même coup, ils affirment aussi notre impuissance.
Seule une pensée inquiète, capable d’accueillir le nouveau, peut nous sortir de cette alternative et nous rendre notre pouvoir d’agir. Il s’agit de déjouer « l’effet de destin du possible réalisé », pour reprendre une expression de Bourdieu, de donner à voir les possibles non advenus, pour pouvoir penser un avenir dans lequel l’action des hommes fera surgir du nouveau. Cette pensée inquiète, l’école peut la développer, avec des programmes scolaires qui donneraient à voir la fragile construction des savoirs et des valeurs, avec des pratiques pédagogiques qui encourageraient chacun à utiliser l’échange avec les autres pour interroger ses certitudes, sortir de soi, se déstabiliser. Quel défi ! Et que nous sommes loin de la raideur imposée au système scolaire après les attentats !

Pour le partage des idées
Libérer la pensée, c’est aussi l’affranchir du marché : cela implique de poser la question de la propriété. À qui appartiennent les idées ?
Aujourd’hui, les technologies nouvelles permettent à quelques capitalistes avides de profit de s’approprier les idées et la pensée du plus grand nombre. Pour résister à cette appropriation, le premier réflexe est d’affirmer que chacun est propriétaire de ce qu’il pense, de ce qu’il crée... c’est-à-dire de renforcer les lois sur la propriété intellectuelle contre la prédation des multinationales. C’est l’objet par exemple des lois Hadopi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ».
Cependant, une telle démarche pose problème. Si l’affirmation du droit d’auteur a pu constituer un progrès dans la société capitaliste industrielle et a permis aux créateurs et aux penseurs de faire reconnaître et rémunérer leur travail, elle ne répond pas aux défis nouveaux posés par la révolution informationnelle. À l’heure où les possibilités de partager les idées et les informations, et ainsi de faire progresser la pensée, sont démultipliées, est-il bien raisonnable de vouloir empêcher ce partage en renforçant la propriété ? Les idées s’enrichissent d’être partagées. Elles sont d’autant plus difficilement marchandisables qu’elles ne sont pas aliénables. Si je vends un objet, je ne l’ai plus. Mais si je vends une idée, je continue à l’avoir. Pour faire respecter la propriété privée des idées, des informations et des créations, le capitalisme doit donc avoir recours à des interventions de plus en plus autoritaires des États : que l’on pense à l’affaire Snowden et au Wikileaks, qui montrent bien combien il est difficile aujourd’hui de préserver la propriété des données.
Dans une société où la pensée, la création et l’information jouent un rôle de plus en plus important, c’est le partage et la mise en commun qui tendent à s’imposer comme les solutions les plus efficaces. La réappropriation de la pensée doit donc être collective : elle passe par la multiplication des espaces de partage, d’échange, de coopération dans lesquels la pensée peut grandir hors de toute logique marchande. Ces espaces « libres », ce sont aussi bien les Fablabs, les logiciels libres, l’open source et les réseaux peer-to-peer, que les services publics, à condition bien sûr qu’ils soient libérés de la tutelle financière des marchés et que s’y développent des logiques de collaboration.
Gratuité et coopération n’empêchent pas la reconnaissance du travail intellectuel : elles impliquent simplement que sa rémunération soit déconnectée de la marchandisation des idées et des œuvres qu’il produit, comme c’est le cas déjà pour les enseignants ou les chercheurs (mais pas pour les intermittents du spectacle, qui ne peuvent voir leur temps de création rémunéré que s’ils parviennent à vendre leur travail suffisamment pour atteindre la quantité nécessaire d’heures travaillées : l’intermittence ne saurait donc constituer un modèle pour le travail de demain). L’augmentation de la part intellectuelle du travail doit alors se traduire par une réduction généralisée du temps de travail, non pas pour que chacun travail moins, mais pour reconnaître et rémunérer le temps de la formation, de la pensée, de la création.

Pour une approche culturelle des nouvelles technologies
À cette question de la propriété s’en ajoute une deuxième, qui ne la recoupe pas tout à fait : celle du pouvoir. Si l’extériorisation de la pensée dans les technologies s’accompagne d’une perte de maîtrise, libérer la pensée, c’est aussi lutter contre son aliénation en retrouvant la maîtrise des technologies nouvelles. L’existence de technologies capables de remplir les tâches accomplies par le cerveau humain, et de les remplir plus vite et de manière plus fiable que lui, est un immense progrès... à condition que nous ne nous laissions pas déposséder de notre pensée.
De ce point de vue, l’éducation et la formation peuvent jouer un rôle essentiel. Trop souvent, « l’éducation aux nouvelles technologies » se réduit à la manipulation de ces outils nouveaux. Ainsi, apprendre à utiliser une calculatrice, c’est apprendre les commandes qu’il faut lui transmettre pour qu’elle réalise les calculs à notre place. Les élèves perdent alors toute maîtrise sur les calculs : ils peuvent peut-être encore s’apercevoir des erreurs de la calculatrice quand il s’agit d’une addition ou d’une multiplication. Mais dès que l’on passe à la trigonométrie ou aux logarithmes, ils n’ont plus aucune maîtrise sur l’opération intellectuelle déléguée à la machine. Il en va de même des ordinateurs ou des tablettes. Tout le monde semble croire qu’il suffit d’équiper les établissements et les élèves pour que les jeunes apprennent à utiliser les nouvelles technologies. Plus grave encore, l’idée largement répandue que l’usage de ces technologies est « naturel » chez les jeunes fait qu’on les utilise comme des médiateurs vers les savoirs : pour faire lire les élèves, on utilise la tablette ; le blog pour les faire écrire ; les réseaux sociaux pour les faire travailler en groupe. Les technologies utilisées, présentées comme naturelles, ne sont jamais interrogées dans leur spécificité. Quand on s’intéresse à l’usage qui est fait de ces technologies, c’est le plus souvent pour favoriser la simple délégation des opérations intellectuelles à la machine : il s’agit d’apprendre aux élèves les commandes les plus efficaces pour que Google cherche à leur place, sans leur permettre de comprendre et de maîtriser ce que fait Google quand il cherche.
Pour favoriser la maîtrise de la pensée dans un monde bouleversé par la révolution informationnelle, il importe donc d’abord de continuer à apprendre à penser. Puisque les technologies nouvelles pensent plus vite que le cerveau humain, elles ouvrent la voie à une complexification des opérations intellectuelles. Si nous voulons continuer à les maîtriser, il faut donc enseigner des savoirs et des pratiques plus complexes : il faut élever le niveau de formation dans toute la société. Cela passe par une scolarité obligatoire allongée, des pratiques et des contenus refondés pour permettre à tous les élèves de réussir et de faire des études longues.
Enfin, il faut apprendre à interroger ces technologies. Remplacer le stylo par le clavier n’est pas un geste anodin. Le passage du rouleau au livre comme support de l’écriture a provoqué un bouleversement des manières de lire, d’écrire et de penser. Les techniques ne sont pas neutres. Il ne s’agit pas de défendre coûte que coûte nos anciennes techniques par peur des bouleversements engendrés par les nouvelles, mais de comprendre ce que ces évolutions techniques impliquent pour ne pas les subir. Cela implique d’envisager les techniques non comme de simples instruments, mais comme les éléments d’une culture cohérente et organisée ; et de faire une place à cette approche culturelle des techniques dans la culture commune construite et transmise par l’école. L’enseignement de la technologie, ainsi envisagé, n’est pas le pendant de l’enseignement « général », l’un étant plus « pratique » et l’autre plus « théorique » : il est la condition de possibilité d’une pensée libre dans tous les domaines.

Quelques défis pour un parti communiste : l’exemple de la formation
La réappropriation collective du pouvoir de penser doit jouer un rôle central dans le projet communiste : non seulement parce qu’elle est le moyen d’en finir avec l’expérience largement partagée de l’impuissance, qui empêche tout changement, mais aussi parce que dans un capitalisme qui accapare les idées, les informations et les créations pour faire du profit, elle est véritablement révolutionnaire. Les combats pour des espaces de partage des idées, de coopération et de débats libérés du marché sont donc stratégiques. Il ne s’agit pas seulement de défendre les logiciels libres, ni même de mener le combat pour l’école, l’enseignement supérieur, la recherche et la culture. Promouvoir des services publics démocratisés et coopératifs, exiger des pouvoirs nouveaux pour les travailleurs dans l’entreprise, c’est aussi se battre pour donner du pouvoir à une pensée collective libérée du marché.
Mais un parti communiste ne peut pas se contenter de ces combats. Si penser et pouvoir ont bien partie liée, alors les partis politiques, et singulièrement un parti communiste, doivent cesser de considérer la pensée comme quelque chose qui leur est extérieur : il ne s’agit pas d’établir un dialogue entre le parti et les intellectuels (ceux qui agissent et ceux qui pensent), ni même de défendre le droit de penser, ailleurs et pour les autres. Il faut, pour pouvoir agir efficacement, pour prendre le pouvoir, faire du parti lui-même le lieu d’une pensée collective libre.
Comment permettre à tous les adhérents, à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au Parti communiste et à son projet, de débattre, de réfléchir ensemble pour produire une pensée collective et conquérir ainsi une hégémonie ? Quels espaces de coopération et quelles instances de validation faut-il inventer ? Quelle organisation, adaptée à la fois à l’objectif politique de prise du pouvoir et aux formes nouvelles de ce pouvoir ? Voilà les défis qu’il nous faut maintenant relever.

Cela passe par un travail exigeant sur les formes de notre réflexion collective. Un seul exemple : la formation (j’ai développé ailleurs des considérations sur le travail de nos directions). Pour permettre à tous les communistes de participer à une réflexion collective, la formation des militants joue un rôle essentiel. Il importe de la développer, en multipliant les stages locaux, au plus près des camarades. Cet effort est déjà bien engagé et doit se poursuivre.
 Mais cela ne suffit pas ! Nous le disons suffisamment à propos de l’école : ce sont les contenus et les pratiques qu’il faut transformer pour les rendre émancipatrices. Trop souvent, nos formations reproduisent ce qui se fait de pire dans le système scolaire : des conférences magistrales, informatives, qui ne mettent pas les communistes en position de réfléchir et d’agir. Nous pourrions au contraire penser nos formations comme des lieux d’élaboration collective exigeante, débouchant sur l’action. Cela serait une étape significative dans la mise au travail du parti.
 

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