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Débat n°5 : quelles pratiques militantes pour améliorer notre action ?

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De quoi le Front de gauche est-il le nom ? Manuel Menal - 75

Créé à l’initiative même des communistes, affirmé et réaffirmé en tant qu’axe structurant de notre stratégie depuis 2008, le Front de gauche n’a pourtant jamais cessé d’être l’objet de débat, de polémique, d’interrogations, de crispations dans nos débats.

À nouveau, son avenir, sa conception et son rôle sont au cœur du débat de notre congrès. Le débat est logique et crucial ; et pourtant il semble encore trop entravé par les non-dits et les fausses oppositions.

Le Front de gauche doit-il mourir au profit d’une autre stratégie de rassemblement ? Et d’ailleurs, s’agit-il d’une stratégie de rassemblement ? Y a t’il opposition entre Front de gauche et rassemblement de « l’alternative à gauche », Front de gauche et primaires ? Pour la clarté du débat, ces questions méritent d’être posées franchement et sincèrement.

L’ambiguïté sur la nature du Front de gauche est, pour nous communistes, une ambiguïté de naissance.

Ambiguïté entre stratégie permanente et occasionnelle, d’abord.

Le texte de notre 34e congrès, moment fondateur du Front de gauche, l’illustre bien. Ainsi, constatant que « nous n’avions pas su prolonger la dynamique de 2005 en proposant immédiatement un objectif, un cadre et une méthode », il affirme la volonté de « construire un Front progressiste et citoyen [liant une] dynamique citoyenne et l’objectif d’une union de forces politiques susceptibles de prétendre construire dans notre pays une majorité de changements », indiquant la volonté d’une construction politique permanente.

Pourtant, dans la foulée, le texte nuance : « en revanche, il sera nécessaire de prendre en permanence les initiatives politiques unitaires, d’alliances les plus adaptées », renvoyant à la construction des « fronts les plus larges possibles visant à des objectifs politiques précis ».

Ce n’est donc pas étonnant si le débat entre « un front » et « des fronts », en partie tranché de fait par la permanence du Front de gauche comme stratégie électorale de 2008 à 2012, mais jamais tranché « formellement », ressurgit dès lors que celui-ci est traversé par des divergences stratégiques — entre composantes, mais aussi au sein même des communistes —, divergences qui culminent à l’occasion des élections municipales de 2014.

Ambiguïté entre construction politique citoyenne ou rassemblement de partis, ensuite.

Nous écrivions, là encore, que « ni l’action des forces politiques, ni la dynamique citoyenne et populaire ne doivent être chapeautée par quelque cartel que ce soit ». Nous appelions de nos vœux une « construction populaire permanente » qui soit le lieu d’un « bouillonnement démocratique » ; mais en prenant le soin de distinguer par ailleurs ce « travail politique » de « la question des alliances ou des fronts électoraux », dont le « Front progressiste européen » était un des exemples : c’est lui qui donnera le « Front de gauche pour changer d’Europe », puis le « Front de gauche »…

Là aussi, donc, rien d’étonnant — ou en tous cas, rien d’imprévisible — aux crispations qui naissent lorsqu’il s’agit, après 2012, de trouver des formes qui permettent d’associer durablement toutes celles et ceux qui se sont impliqués dans le Front de gauche, à travers ses assemblées citoyennes, ses fronts thématiques : comment se mettre d’accord sur la forme d’organisation durable sans que le principe même soit clairement tranché ?

Fondatrices, ces deux ambiguïtés ont été et restent paralysantes pour le développement du Front de gauche.

Pour celles et ceux qui concevaient le Front de gauche, d’emblée, comme le « Front populaire du XXIe siècle » qu’ils et elles appelaient de leurs vœux, il devait devenir une construction politique populaire permanente, permettant d’associer directement et durablement au-delà des partis. Pour celles et ceux qui n’y voyaient depuis le début qu’une stratégie d’alliance temporaire, tout ce qui pouvait conduire à l’installer dans la durée présentait un risque.

Ainsi, le débat sur les adhésions directes, la tentative de « charte de fonctionnement » du Front de gauche, les expérimentations de Conseil national ou les Fronts thématiques étaient morts nés, plombés, d’une part par les stratégies divergentes des différentes composantes de ce qui n’est qu’alors dans les faits qu’un cartel électoral ; d’autre part par l’ambiguïté qui traverse sa principale composante, la seule qui aurait pu impulser une telle démarche citoyenne.

Il est vrai que l’ambiguïté, chez les communistes, est alors d’autant plus sensible et donc difficile à trancher que l’autre principale composante, le Parti de gauche, ne cache pas alors sa volonté d’un nouveau parti, un « Die Linke » à la française, rendant suspectes, aux yeux d’une part des militants, toute proposition d’approfondissement du Front de gauche.

Enfermés de ce fait dans un tête-à-tête, réduit à un rassemblement électoral, un cartel de partis, dont l’existence politique suppose donc campagne électorale, on imaginait mal comment il allait pouvoir passer le cap d’une période de deux ans sans élection ; on a constaté avec quelles difficultés et quelles séquelles.

Le Front de gauche est-il mort ou est-il possible, comme nous y invitent sagement certains camarades, de « rallumer l’étincelle » qu’il constituait ?

À tout le moins, il apparaît en sommeil : plus de coordination entre les partis, très peu d’assemblées citoyennes encore actives, absence totale d’initiative nationale commune depuis 2013 ; tout au plus quelques déclarations communes auront rythmé l’année 2015.

Pourtant, rien ne semble l’avoir remplacé, ou être en mesure de le faire.

Le Front de gauche reste, dans l’histoire des constructions unitaires du PCF, sans doute la mieux identifiée par la population, bien au-delà des « collectifs antilibéraux » ou de la « gauche populaire et citoyenne ». Même en crise, il apparaît durablement ancré dans la population comme étant « la force de gauche radicale », voire « l’alternative à gauche ». Son programme, « l’Humain d’abord », est le dernier exercice programmatique auquel nous nous sommes livrés, et il continue de faire référence.

Abandonner le Front de gauche, c’est donc de facto revenir à une situation antérieure, celle des années 2000, où la gauche radicale apparaissait publiquement représentée par une série d’organisations et de personnalités dispersées.

C’est aussi, plus grave, décevoir une nouvelle fois celles et ceux qui ont cru que, cette fois, une dynamique unitaire durable pouvait naître de ce côté là ; et prendre le risque que toutes celles et ceux qui ont voulu croire aux assemblées citoyennes, à l’Humain d’abord, tournent le dos durablement à notre camp, à notre parti, à l’engagement politique.

Encore ne suffit-il sans doute pas de déclarer « vouloir continuer le Front de gauche » : sans se mettre d’accord sur sa nature même, nous en ferions davantage un totem qu’une stratégie.

Alors que la crise politique atteint une violence inédite ;
Alors que la gauche est menacée de mort politique ;
Alors que le constat est largement partagé de l’incapacité des organisations politiques actuelles à proposer des lieux d’élaboration, de mobilisation et de politisation populaires ;
Alors qu’on sent pourtant, à travers la mobilisation contre la loi El Khomri ou celle en faveur des Goodyear, à travers les voix qui s’élèvent de très nombreux/ses intellectuel-le-s, une envie, voire une exigence, que la gauche radicale fasse entendre sa voix ;

Il est temps, et notre congrès en est l’occasion, d’affirmer clairement que le Front de gauche n’est pas simplement pour nous une stratégie de rassemblement électoral, mais bien une construction politique unitaire permanente, inédite, ouverte et populaire ; une construction qui se fixe l’objectif d’incarner une alternative à gauche, radicalement antilibérale, qui conjugue critique globale du système et volonté de changement immédiat, ambition de transformation sociale radicale et vocation majoritaire.

Pas une structure institutionnelle, pas un parti, qui ne conduirait qu’à reproduire nos structures existantes en « plus large » ; une structure ouverte, où citoyen-ne-s, militant-e-s syndicaux, associatifs, féministes… pourraient trouver et créer des lieux d’élaboration, de débat, mais aussi d’actions, de décisions. Une structure en mouvement, qui permettrait d’associer des militant-e-s issu-e-s de cultures politiques différentes, et avec des volontés militantes différentes : engagements thématiques, ponctuels, ou plus durables, impliquant la possibilité de participer aux prises de décision.

Pour être durable, ce Front de gauche devra nécessairement être citoyen et ouvert. De nos expériences unitaires passées, nous pouvons tirer une leçon : c’est quand les citoyennes et les citoyens s’emparent des cadres unitaires, qu’ils et elles s’en saisissent pour produire des idées nouvelles, que les organisations politiques elles-mêmes cheminent en dépassant leurs intérêts contradictoires. Dès lors qu’ils et elles s’en dessaisissent, les cadres unitaires dépérissent et deviennent davantage lieux d’affrontement que de production.
« Primauté au mouvement populaire », « union par en bas », disions-nous après avoir analysé l’échec de l’union de la gauche. Il est temps de traduire le slogan en faits et de donner jusqu’au bout la primauté au mouvement populaire, y compris lorsqu’elle suppose pour nous et notre organisation de la prise de risque, de l’expérimentation, du dépassement parfois, de l’ouverture toujours.

Dire cela, ce n’est pas minimiser pour autant l’ampleur des contradictions qui traversent actuellement le Front de gauche, tant sur le plan programmatique que stratégique.  

Constatons cependant que les débats qui traversent le Front de gauche ne sont jamais uniquement des débats entre composantes. Europe, rapport au PS, rapport à la gauche, nucléaire, laïcité, revenu universel… : qui peut sincèrement dire aujourd’hui que ces débats ne traversent pas notre parti, la gauche de transformation sociale en général, le mouvement intellectuel au-delà ? Qui peut croire qu’ils sont inhérents au Front de gauche, alors même qu’ils lui préexistent presque tous ?

Comment alors se contenter d’un affrontement « ligne contre ligne » entre composantes ? Communistes, nous savons à quel point ces débats sont importants. Et c’est précisément parce qu’ils sont cruciaux que pas un de ces débats, pas une de ces contradictions ne doit échapper au débat public, à la co-construction citoyenne.

Si nous croyons vraiment en ce que nous disons, c’est à dire en la capacité du peuple à prendre notre destin à main et décider nous-mêmes, il n’y a pas d’autre voie possible que celle qui assume ce débat contradictoire et ce qu’il peut supposer pour nous de remise en cause.

Là pourrait être un acte fondateur pour un Front de gauche véritablement populaire : assumer de soumettre au débat, dans des assemblées citoyennes, des fronts thématiques, des sites participatifs… toutes ces questions et ces divergences qui font les crispations actuelles du Front de gauche ; organiser ces débats pour qu’ils soient constructifs, ouverts, en donnant publiquement des éléments d’analyse venus de nos organisations ou d’ailleurs ; en proposant toujours de faire le lien entre débat et action, propositions et luttes.

Pour faire renaître l’étincelle du Front de gauche sans tomber dans l’écueil qui consisterait à tout miser sur le rapport direct d’un homme avec le peuple, nous devons être clairs sur notre ambition pour le Front de gauche ; et sans ambiguïté sur notre volonté d’y consacrer toute notre énergie, sans garder le pied sur le frein « au cas où », sans tabou « a priori ».

Il s’agit donc d’affirmer le Front de gauche comme une perspective stratégique de long terme, qui se fixe l’objectif d’une construction politique et populaire de la gauche de transformation sociale, radicalement antilibérale ; bien au-delà d’un simple rassemblement électoral.

Affirmer cette perspective ne peut pas revenir pour autant à figer le périmètre du rassemblement à celui du Front de gauche et des forces qui le composent actuellement.

A un an de l’élection présidentielle, on voit bien le scénario où l’on voudrait nous enfermer : celui d’un jeu à trois entre un candidat social-libéral, un candidat de la droite dure et le Front national. Un scénario où, à gauche du social-libéralisme dont l’échec est annoncé, toute une série de candidatures sans dynamique réelle se partageraient péniblement les dix à quinze pourcents habituels. Ce scénario, c’est celui d’une alternative morbide : celle d’une « grande coalition » libérale-sécuritaire d’un côté, ou du Front national de l’autre.

Il y a de ce fait urgence à ce qu’une voix s’exprime à gauche en 2017, qui montre qu’il existe dans ce pays des forces qui, rassemblées, peuvent constituer une majorité de gauche en rupture avec les politiques gouvernementales actuelles.

Ce sont ces forces que nous avons voulu rassembler aux élections départementales et régionales : celles du Front de gauche, celles et ceux d’Europe Ecologie-Les Verts, aujourd’hui largement majoritaires, qui se situent en rupture avec le gouvernement, et toutes celles et ceux, issu-e-s du mouvement social, syndical, associatif, militantes et militants socialistes en rupture, qui aspirent à la construction de cette gauche alternative.

Nous devons affirmer clairement que Jean-Luc Mélenchon et le Parti de gauche doivent être de cette dynamique. Comment imaginer qu’une telle dynamique de rassemblement puisse naître si elle commençait par s’amputer d’une des composantes qui a construit avec nous le Front de gauche, par se priver d’une de ses voix les plus fortes, les plus talentueuses et les plus identifiées, y compris dans les catégories populaires ?

La main tendue vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon doit nécessairement s’accompagner d’une grande clarté sur notre ambition tant pour le Front de gauche que pour le rassemblement politique que nous voulons pour 2017 ; clairs quant à la nature, aux objectifs et au périmètre de ce rassemblement notamment.

Ce rassemblement constitue-t-il pour autant une alternative au Front de gauche, son élargissement ou une « nouvelle étape » ? Je ne le pense pas. Indispensable pour 2017, il ne s’inscrit ni dans les mêmes objectifs, ni dans les mêmes temporalités que le Front de gauche.

Il s’agit pour nous d’articuler ces deux échelles et deux temporalités, en énonçant clairement que ce rassemblement aura besoin de la force du Front de gauche pour exister : sans quoi il serait condamné à être un simple remake de l’union de la gauche, avec les mêmes travers et la même destinée.

Il s’agit d’y affirmer clairement notre ambition : celle d'une construction commune qui élabore des convergences nouvelles entre transformation sociale, écologique et démocratique, entre citoyen-ne-s et militant-e-s dont les cultures, les histoires et les références idéologiques diffèrent mais que l’objectif d’une alternative à gauche rassemble.

La primaire citoyenne est, à ce titre, un des outils, si on la prend comme un outil de mobilisation et de politisation ; si elle ne se résume pas à un simple jour de vote, mais qu’elle propose un lieu d’élaboration citoyenne d’un socle et de mobilisations communes ; si elle est un des outils qui permet d’associer, à toutes les étapes, les citoyennes et les citoyens dans cette construction d’une alternative à gauche.

En s’engageant dans ce processus, nous ne devons pas sous-estimer l’ampleur des débats et des contradictions qui traversent le camp que nous souhaitons rassembler en 2017. Si des convergences existent bel et bien entre les « frondeurs », Europe Ecologie-Les Verts, le Front de gauche…, si elles permettent sûrement la construction d’un socle commun pour 2017, elles ne sauraient gommer les divergences fondamentales d’objectifs et de fond entre nous.

La construction de ce socle commun aura besoin de la contribution forte et du poids de notre parti et du Front de gauche tout entier, pour que s’y expriment les idées de « l’Humain d’abord ». Elle aura besoin que s’ouvrent des espaces de débat citoyen, de dialogue avec les intellectuel-le-s et l’ensemble du mouvement social ; et que notre sensibilité s’y investisse pleinement.

Le Front de gauche sortira renforcé d’un tel rassemblement, dès lors qu’il y entre sûr de son avenir, clair sur sa nature et sur ses objectifs ; dès lors qu’il fait en sorte d’y créer le cadre pour confronter ses analyses, son programmes, ses propositions au débat public, à la construction citoyenne, à d’autres cultures.

Il y a urgence. La crise que nous connaissons est plus qu’économique et financière : elle est aussi sociale, politique, idéologique, démocratique, culturelle. À cette crise profonde correspond une crise de la gauche : alors qu’elle a longtemps été la traduction dans le champ politique d’un camp social, structurée par une histoire de luttes, de combats et une base idéologique commune, la « gauche » politique n’apparaît plus aux yeux, du fait de la conversion désormais totale de la direction du Parti socialiste au libéralisme, comme l’outil du peuple face à la classe dominante, aux puissances de l’argent.

Nous avons donc un camp à reconstruire. La social-démocratie est dans une impasse stratégie et théorique complète : face à la profondeur de la crise, face à la financiarisation et à la mondialisation du capital, elle est impuissante à proposer un nouveau compromis entre capital et travail ; la régulation apparaît plus que jamais comme une illusion.

Pour reconstruire ce camp, pour lui redonner un contenu et des identifiants nouveaux, il serait vain de s’accrocher à la vieille union de la gauche avec la social-démocratie à sa tête. La gauche, comme outil politique des catégories populaires — diverse dans ses courants de pensée et dans ses traditions politiques, mais unie par son parti pris en faveur de ce camp social là —, ne pourra trouver un nouveau souffle que si elle a pour moteur une force de gauche radicalement transformatrice et antilibérale.

C’est l’objectif que nous avions fixé au Front de gauche ; et à nous-mêmes en nous donnant l’ambition de se transformer en profondeur pour faire d’un parti renforcé et renouvelé l’outil le plus efficace pour cette stratégie et pour contribuer utilement à la mise en mouvement des masses et à la politisation du peuple. La tâche est ardue, le combat rude mais sans cette perspective de long terme, il n’y a pas d’avenir de transformation possible. Nous ne devons donc jamais la perdre de vue.

Cette perspective de long terme ne résume pour autant pas notre travail de rassemblement. Alors que le mouvement de contestation contre la loi « travail » montre combien il est possible de rassembler, en 2017, pour une alternative à gauche, il nous faut tout tenter pour donner à celles et ceux qui se mobilisent un espace pour s’exprimer, se mobiliser et construire ensemble une offre politique pour les élections présidentielle et législatives.

Si des primaires citoyennes peuvent nous y aider, saisissons nous en : en articulant sans cesse long et court terme, rassemblement et radicalité, visée de transformation sociale radicale et ambition majoritaire.

« Préparer l’avenir ce n’est que fonder le présent.
L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre »
— Antoine de Saint-Exupéry

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