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Reconstruire une stratégie d’implantation populaire du Parti - Jérémie GIONO - 38

Adhérent depuis 2003, le Parti dans lequel je milite depuis lors n’a rien à voir avec les caricatures de mauvais livres d’Histoire : l’esprit critique y est présent partout, entre tous, à tous les niveaux. Nous nous interrogeons sans cesse sur notre organisation et nos stratégies collectives, non sans parfois tomber dans l’invective et l’émotion à la place de l’argumentation et de la Raison… Cet esprit critique est une bonne chose, car à l’aube de ce XXIième siècle qui s’annonce agité et plein de défis pour toute l’espèce humaine, nous avons besoin d’un Parti Communiste qui soit un collectif de réflexion et d’accumulation d’expérience en permanence en capacité d’interroger ses orientations et ses pratiques militantes.

Toutefois, nous centrons le plus souvent nos discussions sur les questions de Projet et d’alliances électorales. Si ces sujets sont importants, nous avons tort d’analyser l’évolution de notre rayonnement dans la société sous ces deux prismes exclusifs, séparé du reste. En effet, ils ne sont pas les paramètres principaux de la question de la place de notre Parti dans le Peuple de France : le paramètre principal est et restera la dimension matérielle, l’implantation de notre Parti dans le réel, dans la vie des gens.

 
I/ Le PCF, l’Histoire d’une implantation populaire

Si son Histoire ne peut être réduite à ce seul aspect, notre Parti a incarné l’aboutissement d’un processus engagé avec le début de la Révolution Industrielle : l’organisation autonome du Mouvement Ouvrier. Le coeur de ce mouvement s’est incarné dans son groupe moteur, les ouvriers de métiers, dont notre Parti s’est fait la voix durant plusieurs décennies. Nous avons su contribuer à la politisation des cadres de sociabilités populaires de ce groupe social, tissant à son apogée tout un réseau de structures et d’organisations sociales assurant à notre  courant politique une quasi-hégémonie sur un ensemble de territoires. C’est ce travail d’implantation, fruit d’une dialectique entre le mode de vie de cette partie des classes laborieuses et notre intervention subjective, qui a fait le coeur de la force de notre Parti.

Cette donnée est clairement visible lorsqu’on regarde dans le détail les résultats électoraux, en allant au-delà des seules moyennes nationales. C’est ainsi qu’en 1981, le score de Georges Marchais (15,34% au niveau national) n’est possible que parce-que dans certaines régions, nous dépassons les 30%.

La situation est radicalement différente aujourd’hui : si nous conservons des zones d’influences locales, elles sont principalement dues à nos positions électives héritées du « communisme municipal », lui-même hérité de cette période précédente d’influence populaire combinée aux bénéfices électoraux de l’Union de la Gauche. Force est de constater que nous n’avons plus d’électorat national au sens où il existait par le passé. Notre socle électoral national se limite donc à la frange mouvante des « convaincus », la frange la plus politisée de l’électorat de gauche.
On ne peut pas comprendre cette évolution si on n’analyse pas l’évolution de la société française durant les trente dernières années. Car si certains choix stratégiques de notre Parti ont pu accélérer ou au contraire ralentir ce recul, et le débat est légitime sur ces questions, c’est avant tout dans les mutations de la société qu’il faut chercher les causes de notre recul d’implantation.

 
II/ Construire une stratégie d’implantation adaptée à l’état du Capitalisme dans notre pays

a) Dans quelle société évoluons-nous ?

Agriculture2,80%
Industrie13,10%
Construction6,30%
Tertiaire76,90%
Dont : Commerce12,60%
Transports5,30%
Hébergement et restauration3,50%
Information et communication2,70%
Finance, assurance, immobilier4,90%
Sciences, techniques, serv. administratifs11,40%
Administration publique, éducation, santé, action sociale30,90%
Répartition des emplois par secteurs d'activités
Cadres15,2%
Profession intermédiaire24,2%
Employés qualifiés14,7%
Employés non-qualifiés13,7%
Ouvriers qualifiés13,6%
Ouvriers non-qualifiés6,9%
Composition du salariat en France
(88,5% de la population active en emploi)

Pour reconstruire une implantation communiste dans notre pays, il ne suffira pas d’égrainer en boucle un vernis de phrases puisées dans nos textes des années passées, telle des formules magiques. Les groupes de camarades organisés qui portent ces approches, tout en étant sincères eux-mêmes, n’en sont pas moins dans une démarche profondément idéaliste.

Nous devons repartir d’une analyse approfondie de notre société, en prenant en compte à la fois les évolutions structurelles de l’appareil de production et les évolutions culturelles, liées à ce nouveau cadre idéologique qu’est la « Société de consommation ». Sur tous les plans, il faut intégrer à nos réflexions les multiples impacts de la révolution informationnelle, y compris pour anticiper les évolutions à venir du monde du travail
Notre Congrès doit être un temps fort de ce travail d’analyse, et bon nombre de contributions démontre qu’il le sera certainement.

Sans approfondir plus avant, je voudrais pointer deux éléments clé qu’il nous faut à mon avis intégrer à notre
analyse.

Le premier est l’éclatement sans précédent du prolétariat moderne, qui remet en cause ce qui fut l’un des axes fondamentaux de notre orientation stratégique durant le siècle dernier : l’idée qu’il y avait un groupe-moteur unique pour la transformation sociale, le groupe « ouvriers de métiers ». Si la majorité de notre Peuple est maintenant salarié, ce salariat est multiple et divers. Pour cela, il est utile d’évoquer deux sources croisées : 
 
 Source : INSEE, photographie du marché du travail 2014

 

Le second est l’importante élévation du niveau de qualification du salariat, dont l’augmentation de la durée des études est le témoignage le plus clair. Cette évolution marque une profonde mutation du monde du travail et des classes populaires.

 
La question qui nous est posée est donc celle de notre stratégie d’unification du prolétariat moderne, autour de références et de représentations communes, en partant de l’état actuel de la situation. Et comme durant les deux siècles précédents, c’est à partir d’une accumulation d’expérience concrète tout autant que d’une analyse fine que nous pourrons faire émerger une orientation stratégique adaptée, ce qui pose en grand l’enjeu de notre implantation au sein des couches populaires.

 

b) Quelles priorités ?

Dans ce paysage éclaté, il nous faut déterminer des priorités stratégiques, sur lesquelles concentrer des moyens particuliers, en vue d’obtenir des résultats. Au vu de la société actuelle, j’en distingue trois : les quartiers populaires, les entreprises, et la jeunesse.

. Les quartiers populaires

Relégués à la marge d’une société en crise, ils sont orphelins d’une représentation politique positive. Ils en
deviennent l’objet de tous les clientélismes, et peuvent être la proie de courants réactionnaires qui cherchent à s’implanter durablement dans notre société, avec la complicité de la classe dominante. Alors que le récit politique construit par les forces au service de la Finance repose en grande partie sur leur stigmatisation destinée à diviser notre Peuple, construire une stratégie d’implantation dans ces milieux doit être l’une de nos priorités non pas en soi, mais afin de faire levier sur l’ensemble de la société autour de nos valeurs de « vivre-ensemble », d’anti-racisme et de tolérance.

. Les entreprises

Même s’il faut analyser et intégrer les mutations de notre appareil de production, et qu’on ne peut pas essayer de « faire comme avant » à l’époque où dominait la grande industrie lourde, les entreprises restent le lieu de la
production de richesse, le lieu de l’exploitation de la force de travail et d’extraction de la plus-value. Y reconstruire
une expression politique est donc primordiale, c’est le socle de notre combat politique face au Capitalisme.

. La jeunesse

Nous avons toujours consacré une énergie importante à notre implantation au sein de la jeunesse, en nous dotant de cadres d’organisations adaptés à sa diversité. Dans une société où les mutations s’accélèrent à chaque génération, en faire une priorité d’implantation est primordiale, pour ne pas se retrouver à « manquer des trains ».

 

c) Quelle méthode ?

Construire une implantation ne se décrète pas, et il est important d’abandonner définitivement le ton trop souvent utilisé des « donneurs de leçons » lorsqu’on aborde cette question au sein du mouvement communiste.

C’est avant tout une question de pratiques. Il faut accepter que nous n’avons pas de recettes miracles, car nous sommes au début d’un nouveau cycle historique sur bien des plans, il nous faut donc recréer une expérience collective. Pour cela, l’animation et le suivi de groupes de travails est le premier pas, ces collectifs devant être des espaces de mise en commun d’expériences et de pratiques. Pour trouver les bonnes méthodes, il va falloir chercher tous ensemble, expérimenter puis confronter les expériences…

Les liens avec les organisations sectorielles doivent aussi devenir structurants : dans le respect le plus complet de l’autonomie des acteurs du mouvement social, nous devons partout renforcer nos échanges avec les organisations qui défendent les mêmes idéaux que nous, avec qui nous partageons des fragments d’ADN communs.

En termes de méthode, les deux « jambes » du mouvement ouvrier ont toujours été l’agitation revendicative et la solidarité concrète : nous pouvons reprendre ces orientations pratiques simples, en n’ayant pas peur de viser petit dans un premier temps. Une barre d’immeuble HLM est délabrée, nous y avons des camarades et des bons contacts avec la CNL, pourquoi ne pas y construire une mobilisation revendicative ; dans un quartier populaire, organiser une vente de fruits et légumes solidaires ; etc… ?

Enfin, il faut dire un mot particulier sur la Jeunesse. Nous disposons en effet d’une organisation de Jeunesse, le MJCF, qui jouit de sa pleine autonomie de décision et d’action. Cet outil est une force, disons-le clairement, car il permet au mouvement communiste d’avoir une adresse spécifique envers les jeunes, et un cadre organisationnel où ils peuvent faire leurs « premières armes » loin du grand bain et de ses contradictions. De même, l’autonomie de direction permet aux dirigeants du MJCF de se forger véritablement à l’exercice des responsabilités. Toutefois, je pense que nous devons en tant que Parti renforcer nos liens avec notre organisation de jeunesse et notre suivi politique, à tous les niveaux, et ce non pas pour dire aux jeunes « quoi penser » ou « comment faire les choses », mais pour jouer notre rôle de tuteurs et d’appuis afin de les aider à surmonter les contradictions qu’ils peuvent rencontrer dans le développement de leur activité politique.

 
Dans ces axes et au-delà, nous devons en toute circonstance tenir compte de la diversité du prolétariat moderne, afin de relever les défis posés par cette diversité.

 

III/ Education populaire et formation des animateurs
 

Ces aspects étaient des forces de notre Parti au siècle précédent, incarnant à eux deux les éléments fondamentaux de notre matrice organisationnelle, qui fit du PCF « un Parti à part ».

 
a) L’Education populaire

Notre implantation au sein du monde ouvrier ne peut se comprendre qu’en analysant l’ensemble des mécanismes d’Education Populaire dans et autour du Parti : écoles, colonies de vacances, organisations de masses…

Ce terme est lui-même galvaudé, parfois employé sans que l’on en saisisse bien le sens : il nous faut renouer avec toute l’expérience accumulée à ce niveau, et toujours bien vivace dans de nombreux réseaux qui ne sont pas si éloignés de nous (Francas, Céméa, Coopératives de formation, « conférenciers gesticulés »…). Cette réappropriation est indispensable si nous voulons reconstruire une implantation communiste dans les milieux populaires, et donc une implication de personnes issues des milieux populaires, et non simplement nous poser en « avant-garde » intellectuelle ou caritative : sans les acquis méthodologiques de l’Education Populaire, nous ne pourrons  pas dépasser les contradictions générées par les différences de capital culturel, et ce sont toujours ceux qui se sentent « naturellement » les plus à l’aise qui tiendront le haut du pavé, même avec les meilleurs intensions du monde.
 

b) La formation des animateurs

Autrefois appelée « politique des cadres », la formation des animateurs du Parti est plus que jamais indispensable pour assurer notre développement et engager un travail de réimplantation. En même temps, là aussi il faut à la fois partir de l’état du monde d’aujourd’hui et non des modèles d’hier, et tirer les enseignements de notre expérience historique.

L’animateur, c’est celui qui assure le bon fonctionnement d’une organisation. Son rôle est déterminant pour passer d’une somme d’individus à un collectif, et c’est encore plus vrai aujourd’hui que nos adhérents sont aussi variés que le prolétariat moderne. C’est celui qui, par sa pratique, assure que chacun trouve sa place dans le collectif, et que le collectif soit toujours en capacité de se réinterroger. C’est celui qui aide le collectif à surmonter les difficultés et à dépasser par le haut ses propres contradictions. C’est celui qui garantit, en somme, que nous sommes un  Parti cohérent et efficace, et non un simple cercle affinitaire ou intellectuel. Ils sont la colonne vertébrale de l’organisation, non pas pour y imprégner une rigidité, mais pour en assurer sa souplesse. Sans cette ossature, un Parti révolutionnaire se briserai en mille morceaux comme un voilier en pleine tempête, et la période historique que nous allons vivre s’annonce houleuse…

Il est donc primordial à mon sens que nous démultiplions l’énergie employée à la formation et à
l’accompagnement de nos animateurs, à tous les niveaux là aussi.

 
Conclusion :

Bien loin du « débat d’idées » (et tout proche en même temps – dialectiquement –), la question très
pratique du développement de nos stratégies d’implantations est primordiale pour l’avenir de notre Parti.
Cette question ne peut se contenter de phrases toutes faites, mais doit partir d’une analyse collective de la
société d’aujourd’hui, sur tous les plans (économique, sociologique, culturel).

Selon moi, nous devons nous donner trois priorités dans ce chantier : les quartiers populaires, les
entreprises, et la jeunesse.

Pour y parvenir, nous devons nous donner les moyens d’amplifier considérablement les actions déjà
engagées, en investissant massivement les collectifs thématiques qui existent, et en adaptant nos modes
d’organisations.

Enfin, si nous voulons agir efficacement sur la durée, la réappropriation des outils et des pratiques de
l’Education Populaire est indispensable, de même que la reconstitution d’une « colonne vertébrale »
d’animateurs du Parti capables d’assumer leur tâche au mieux, et qu’il faut former et accompagner pour
cela.
 

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