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Contre les visions misérabilistes des classes populaires - Florian Gulli - 25

 
Depuis 2012, le Front de Gauche s'est enlisé dans des débats stratégiques sans fin. L'autonomie à l'égard du PS a été vendue comme la recette miracle, la clef de la victoire électorale; alors que ladite autonomie était mise en œuvre depuis des décennies par la LCR puis le NPA, sans aucun succès. Suivait la question de l'alliance avec EELV: tantôt l'avenir de la gauche française, tantôt le dernier des soucis du Front de Gauche. Le point commun de toutes ces positions contradictoires?  Elles mettent la charrue avant les bœufs. Ou plutôt: elles font passer pour cruciale une question qui n'est pas, pour le moment, décisive. Ainsi, on peut être partisan de l'autonomie à l'égard du PS, sans aller s'imaginer que celle-ci nous apportera le soutien des classes populaires et nous ouvrira les portes du pouvoir.

Les deux tâches d'actualité pour le Front de Gauche sont le projet et l'enracinement dans les classes populaires. Ces deux tâches sont intimement liées.
 
Beaucoup de contributions, dans le cadre du Congrès, soulignent la nécessité d'aller travailler dans les quartiers populaires. Ce qui va dans le bon sens. Reste à savoir ce que nous allons y faire et ce que nous allons y dire. Car il ne saurait être question pour nous d'aller prendre la place du Secours Populaire, ni de créer des relations intéressées, de type clientéliste, entre des populations et nous (« on vous aide, pensez à voter pour nous ! »).

L'objectif est de politiser, dit-on. Politiser, c'est partir de difficultés du quotidien (par exemple le pouvoir d'achat et l'alimentation) pour montrer que ces difficultés ne viennent pas de nulle part mais d'un monde économique qui exploite producteurs et consommateurs. Cette politisation a ses limites : d'abord, il n'est pas rare que le public visé ait déjà parfaitement conscience de se faire exploiter, ici par les grandes surfaces. Ensuite, l'exposition de la preuve peut très bien ne produire aucun effet politique positif ; par exemple, elle peut renforcer la résignation. Enfin et surtout, si les gens des classes populaires rencontrent des problèmes quotidiens, leurs préoccupations ne sauraient évidemment s'y réduire, sauf à s'en faire une représentation méprisante.

Trop souvent, et malgré les plus sincères intentions, nous réduisons les individus des classes populaires à leur intérêt matériel (libéralisme, quand tu nous tiens!). Et nous leur présentons sur cette base de futurs projets de loi bien ficelés qui seront un jour défendu à l'Assemblée par nos députés, et qui protégeront leur pouvoir d'achat. Cette démarche -si courante- est vouée à l'échec. Elle repose sur une image négative de ceux à qui elle d'adresse : « Vous êtes dans la misère ? Nous savons pourquoi ! Faites nous confiance en votant pour nous » (je caricature volontairement). Intérêt strictement matériel, misère, passivité, impuissance ; on comprendra que pour des populations déjà victimes de mépris social (« racailles », « jeunes de banlieues », « bidochons », « sans dents » et autres « Deschiens »), ce discours soit peu attractif.

L'engagement politique a toujours eu une dimension morale et quasi héroïque, que nous avons parfaitement assumé naguère, mais que nous n'assumons plus aujourd'hui. S’engager, c'était retrouver sa dignité, sa fierté. Avant même l'issue de la lutte, l'engagement était payant parce qu'il permettait de reconquérir une image positive de soi-même. C'était le héros de la classe ouvrière, le métallo, le résistant communiste, etc. Il n'y a qu'à regarder les représentations des prolétaires dans l'histoire du mouvement ouvrier : menton haut, regard confiant, physique puissant, etc. Pas une once de misérabilisme. De cet ouvrier stylisé, il ne viendrait à l'esprit de personne de dire qu'il est un « pauvre » ou un « jeune défavorisé ». Cette imagerie héroïque n'avait que peu de rapport avec la réalité ? Peu importe. Elle n'avait pas vertu sociologique ; elle fournissait un idéal valorisant conçu comme un puissant moteur d'engagement. L'intérêt matériel, bien présent, n'était donc pas seul présent ; et sans doute ne venait-il pas en premier.

Malheureuse actualité du procédé : la prédication salafiste s'appuie sur ce ressort moral. Le salafiste se pense comme le représentant d'une aristocratie religieuse (selon Samir Amghar), il promet à ceux qui le rejoignent de partager les bénéfices moraux de ce nouveau statut. Et se faisant, il convainc.

Il ne s'agit pas pour nous, bien entendu, de ressortir les affiches jaunies d'hier, mais de réfléchir à la façon de réactiver la dimension morale et héroïque de l'engagement dans le monde d'aujourd'hui.

 

 

Contre les visions misérabilistes des classes populaires - Florian Gulli - 25

le 19 February 2016

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