Les congrès du PCF

Les congrès du PCF
Accueil
 
 
 
 

Prisons, détenus, droits et libertés : une question dont les communistes doivent s'emparer - Shirley Wirden - 75

Nos libertés individuelles et collectives sont de plus en plus remises en cause et opposées à l'intérêt sécuritaire dans le cadre des menaces et attaques terroristes. Les débats sur l'origine de la radicalisation, l'état d'urgence et la déchéance de nationalité sont révélateurs d'un besoin de développement de notre engagement sur les questions de justice en termes d'information, de formation et d'action. En effet, lorsque l'on dénonce le projet du gouvernement de pouvoir déchoir de sa nationalité un citoyen, on oublie ou on ne sait pas qu'il s'agit d'une extension et que la déchéance de nationalité existe déjà. L'article 25-1 du Code civil précise que les personnes françaises depuis moins de dix ans peuvent être privées de la nationalité pour quatre motifs. Le délai est étendu à quinze ans pour un «crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation». Depuis 1998, la déchéance de nationalité ne peut s'appliquer qu'à des binationaux, afin d'éviter de faire des «apatrides» et de respecter ainsi l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ceci ne justifie pas cette extension mais met en lumière notre méconnaissance des injustices déjà existantes.

 

On oublie également ou on ne sait pas non plus que des citoyens sont déjà en un sens des apatrides, en un sens des déchus. Effectivement, en prison, les détenus ne sont plus des citoyens maîtres et libres de leurs droits civiques. A quoi sert de posséder un bout de papier lorsqu'on gît entre 4 murs pendant des années ? Libertés de circulation, réunion, expression, information, droit de vote mais aussi conditions de travail faisant honte au code du travail, les citoyens privés des libertés démocratiques et républicaines les plus fondamentales existent déjà.

 

Comme le détaille l'article 717-3 du code de procédure pénale, "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail". C'est donc un droit dérogatoire du travail qui s'applique en prison. S'il n'existe pas de contrat de travail en prison,, l'article 33 de la loi pénitentiaire de 2009 prévoit la conclusion d'un "acte d'engagement". La rémunération est la suivante: 45 % du smic pour les activités de production et entre 20 et 33 % pour le service général. L'administration pénitentiaire fixe un seuil minimum de rémunération (SMR) pour les ateliers de production. Il était en 2011 de 4,03 euros bruts de l'heure. Toutefois, tandis que les Règles Pénitentiaires Européennes exigent une rémunération normale, le taux minimum n'est même pas respecté. Dans son dernier rapport, le CGLPL a ainsi constaté un "défaut d'application des textes". Pour citer un extrait d'un article du GENEPI : «On ne peut que réitérer l’interrogation déjà soulevée par Jean-Marie Delarue, l’ancien Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, en 2013 : “Au nom de quels principes d'exécution des peines maintenir un dispositif qui s’apparente davantage aux conditions de travail du premier âge industriel qu’à celle de la France de nos jours?.

 

Mais qui se préoccupent des prisonniers, des détenus ? De ces exilés de l'intérieur? La prison est encore cette zone d'ombres ou selon le Groupe Information Prison « ces régions cachées de notre système social, l'une des cases noires de notre vie : l'intolérable ». Une fois enfermés, ces citoyens disparaissent de notre champ de vision, de notre engagement politique. Pourtant, le militantisme concernant les prisonniers politiques a rythmé des générations de militants mais étrangement, nous n'avons pas saisi la question carcérale comme nous aurions pu le faire. Nous ne nous sommes attaqués qu'à des emprisonnements arbitraires, injustes, à des cas particuliers mais pas à la punition en elle même, pas à la détention, pas au système global. Pourtant, comme l'écrit Gilles Chantraine la prison demeure « le miroir de la liberté moderne et des assujettissements qui s'effectuent en son nom ».

 

 

La prison n'est elle pas le microcosme qui révèle l'imposture de notre société tout entière ? En effet, le processus d'incarcération relève de l'enfermement et de la création d'un microcosme régi par ses propres règles, par une discipline et un contrôle industriel et scientifique. Il contraint les prisonniers à perdre leur caractère de « déviants sociaux » pour devenir des « sujets institutionnalisés ». L'individu doit « purger sa peine » à l'abri de tout regard et faire « amende honorable ». Il doit mériter son retour parmi les siens et la communauté sociale et politique. Tout ce vocabulaire employé autour de la question carcérale et de l'emprisonnement est particulièrement révélateur. Elle broie pour punir, pour que la « peine » soit mémorable. Elle est une vengeance destructrice plus qu'une deuxième chance, elle n'est pas la solution mais un problème. La prison est un appareil répressif et idéologique d'Etat qui gère les corps et les esprits de ceux qui n'auraient/ n'ont pas respecté le contrat social. Elle vise également à faire peur, à dissuader, à maintenir en sécurité la société. La prison devrait avoir pour mission de réinserer dans la société mais tout se passe comme si l'objectif réel était simplement de déshumaniser afin de mieux contrôler, d'anéantir toute volonté de résistance. Ce lieu « ceint et malsain » (Emmanuel Jaffelin) détruit et cause des dommages souvent irréversibles. Les femmes en sont une fois encore des victimes particulières. Ce châtiment, qui se matérialise par la souffrance physique et mentale, par l'exclusion la plus totale, ne peut être un moyen de « se réinsérer ».

 

Si nous refusons avec acharnement la peine de mort, comment pouvons nous accepter la torture institutionnalisée que représente la prison ? Qui peut croire que la prison est un havre de paix, un endroit où l'on peut se recentrer sur soi même ? Ne pas respecter le contrat social est une chose, mériter d'être enfermé vivant dans un trou et d'être oublié par le politique pendant des années en est une autre. Les conditions de détention sont inacceptables et le principe même de la cage est scandaleux. S'il flatte peut être nos plus bas instincts, c'est une question dont nous devons nous saisir.

 

De surcroît, il est nécessaire de se pencher sur la population carcérale. Il s'agit bien de « punir les pauvres » (Loic Wacquant). Statistiquement, on ne va pas en prison par hasard. Les conditions sociales, l'héritage familial et le niveau de formation/ de vie sont déterminants. Les grands délinquants et criminels de la classe dominante ne vont rarement/jamais en prison ou alors ils achètent leur liberté. Nous ne pouvons pas tolérer cette justice à deux vitesses et nous ne pouvons tolérer que le pire soit réservé aux « pauvres ». Chaque prisonnier est en quelque sorte un prisonnier politique. En 2000, l'INSEE et le ministère de la justice publie un rapport qui donne une mine d'or d'informations: « un détenu sur sept n’a jamais exercé d’activité professionnelle et 1/2 est ou a été ouvrier. Les professions des parents confirment la surreprésentation des milieux populaires : 47 % des pères de détenus sont ouvriers, 16 % sont artisans ou commerçants. Les mères sont ouvrières ou employées, le plus souvent «femmes de ménage» ou employées dans les services directs aux particuliers. 54 % des mères sont inactives. Les hommes nés à l’étranger sont deux fois plus nombreux en prison que dans l’ensemble de la population : 24 % contre 13 %. Un détenu sur sept est parti du foyer familial avant 15 ans, la moitié avant 19 ans , 80 % avant 21 ans. Les hommes des classes populaires sont fortement surreprésentés parmi les détenus. Malgré leur appartenance aux jeunes générations, ils ont en général fait des études courtes : plus du quart ont quitté l’école avant d’avoir 16 ans, ¾ avant 18 ans. ».

 

Allons plus loin en effet car il est coutumier que des voix prennent l'exemple des pires meurtriers pour justifier l'enfermement. Si l'on regarde les parcours sociaux de ces condamnés, on s'aperçoit aisément que ce parcours a été meurtri par la violence physique et sociale. Nous ne sommes pas des idéalistes, nous ne croyons pas aux illuminations meurtrières ou criminelles qui conduiraient des individus à de tels actes. Les conditions matérielles et les rapports sociaux sont déterminants. La société fabrique ses propres détenus. En changeant la société, nous éliminerons bon nombre de dysfonctionnements conduisant des individus à en arriver au pire sans qu'il n'ait pu être aidé avant. Tout ce que la prison apporte c'est davantage de souffrance, d'isolement social et de sentiment d'exclusion.

 

Nous avons pourtant des réflexes historiques de militantisme sur la question des hopitaux, des écoles, des usines alors pourquoi désertons nous la question de l'appareil carcéral, de cet appareil de répression étatique ? Certes la problématique est complexe mais elle n'est pas impossible à traiter. Si l'on veut proposer un projet de société révolutionnaire, alternatif, nous devons être capables de ne laisser personne sur le bas côté. D'autres solutions à la gestion du délit et du crime doivent être trouvées afin de permettre à tous de garder sa place dans la société. Ces condamnés doivent être accompagnés, réinsérés sans passer par une phase d'exclusion.

 

Le parti communiste a le devoir de se diriger vers les nombreuses associations qui existent, et qui dénoncent le manque de relai politique, afin de leur donner le soutien nécessaire à l'accompagnement et à la défense des détenus. En parallèle, c'est donc bien une révolution de la « peine » que nous devons élaborer ensemble en lien avec les acteurs déjà présents sur le terrain théorique et pratique.

 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.