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Le travail, un sujet politique majeur - Véronique Sandoval - 75

« Le travail, qui tend à occuper une place de plus en plus grande et de plus en plus pesante dans nos vies, pour ceux qui n'en sont pas privés, semble de plus en plus déconnecté du reste des existences et des enjeux politiques (c'est l'une des prouesses de la pensée dominante). Nous voulons en faire un sujet politique majeur.» disions-nous dans «Rallumer les étoiles », lors de notre précédent congrès.

Où en sommes-nous trois ans après ?

 

Depuis sa création le Parti communiste français se bat contre l’exploitation du travail par le capital dans le cadre des rapports sociaux capitalistes,

- en dénonçant le discours patronal sur le 'coût du travail' et en menant des luttes pour la revalorisation des salaires et la réduction de la durée du travail, nécessaires et tout à fait possibles si on s'attaque au 'coût du capital' (et notamment à l'accroissement sans précédent de la part des richesses consacrées à la rémunération des actionnaires et des crédits bancaires)

- mais aussi, face à la montée du chômage de masse et de la précarisation des emplois, en proposant la mise en place d’une sécurité d’emploi et de formation pour les salariés, et la mobilisation de la création monétaire en faveur d'investissements productifs créateurs d'emplois et favorisant la formation et le progrès écologique.

 

Mais prenons-nous la juste mesure, dans notre activité militante, de la fracture sociale, causée par un chômage de masse et permanent depuis 30 ans, au sein même des classes populaires, entre ceux qui peuvent espérer s'en sortir et ceux, les moins qualifiés, qui se sentent abandonnés, comme du lien entre la précarisation des emplois, la casse du code du travail et une plus grande 'souplesse' donnée à la possibilité de licencier et le développement dans la très grande majorité de la population d'un climat d'insécurité existentielle propice à la montée des communautarismes et du repli identitaire ?

 

Depuis les années 80, la priorité donnée à l’emploi et à la défense du droit au travail tel que défini dans la déclaration universelle des droits de l'homme, à savoir « un droit au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, et à la protection contre le chômage », ne nous a-t-elle pas conduit à ne pas accorder une attention suffisante au rapport du travailleur à son travail, à négliger ses aspirations à pouvoir développer ses connaissances et compétences dans le cadre de son travail, comme la nécessité d’avoir un travail qui fasse sens, reconnu comme utile à la société, et celle de trouver sa place au sein d’un collectif de travail, seul à même de lui permettre d’accroître son pouvoir de décision et d’action sur son avenir. ?

Dans combien de tracts faisons-nous le lien entre le niveau élevé des dépenses de santé - en arrêts maladie comme en antidépresseurs notamment -, dont les patients comme leurs médecins sont tenus responsables, et la souffrance au travail, l'impossibilité (en raison de la dictature des marchés financiers sur les critères de gestion et les méthodes de management elles-mêmes) de faire du 'bon travail', un travail « permettant à chacun de s'émanciper, d'accroître sa créativité et son pouvoir d'intervention sur son activité, en participant à l'effort commun au service de la collectivité »?

 

Avons-nous bien intégré les conséquences des profondes transformations ayant affecté le processus de production, l'introduction de la 'lean production' pour ne produire que ce qu'on a déjà vendu (et non l'inverse), la révolution informationnelle et le poids croissant de la production 'immatérielle', avec comme corollaire la nécessité pour le capital de transformer en 'force de travail' au service de l'accumulation, non plus avant tout les corps, mais 'l'énergie psychique des travailleurs' ?

Dès lors ne devons-nous pas disputer au patronat le monopole de la bataille idéologique à l'entreprise ' et notamment sur deux sujets :

la définition de l'entreprise : non pas la propriété des détenteurs de capitaux seuls à même d'en fixer les finalités et sur laquelle ils auraient tous les pouvoirs, mais une communauté humaine en vue d'une création collective au sein de laquelle le pouvoir doit être partagé

et celle du travail qui ne saurait être une 'ressource' (cf l'idéologie des 'ressources humaines' ), dont il faudrait réduire le coût et l'usage, mais qui est la source de production des richesses.

 

Avec la révolution numérique, la création de nouveaux emplois dans l'environnement, la relation client, le développement même des NTIC..., risque de ne pas compenser les emplois salariés qui sont appelés à disparaître, tant dans la production de biens matériels que dans les activités intellectuelles. La réduction du temps de travail (financée par les gains de productivité dont cette révolution est la source), devient dès lors un impératif, à la fois pour créer des emplois supplémentaires et pour permettre aux salariés de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle.

Mais cette révolution, non seulement peut permettre un développement sans précédent de la liberté créatrice de chacun, mais change aussi profondément l’organisation du travail au sein des entreprises. En favorisant la décentralisation du travail, les outils informatiques permettent le développement du travail à domicile comme de la sous-traitance. Toutefois, appuyé sur une large diffusion des outils numériques, le travail en réseau, autrefois contrepoids informel à l’organigramme hiérarchique, devient une ressource essentielle pour le partage des connaissances. Et, en lien avec la diffusion de la ‘lean production’ et la nécessité de raccourcir toujours plus les temps de production, une nouvelle organisation du travail, plus flexible, le management par projet, recherche à la fois une plus grande autonomie des salariés et une plus grande collaboration entre métiers différents. De nouvelles aspirations à reprendre la main sur son travail, à concilier autonomie et partage sont donc favorisées.

 

Mais pour rassembler sur ces aspirations, encore faut-il combattre les méthodes de management qui jouent un rôle déterminant dans la montée de l' « individualisme », la prégnance croissante du 'mérite individuel' au détriment des valeurs d'égalité et de solidarité. Ceci en cherchant à mobiliser l'être psychique qu'est chaque travailleur par la diffusion d'une culture de la performance et l'installation d'une concurrence entre salariés, au sein même des équipes de travail et jusqu’au niveau mondial. De même, pour aider à la reconstruction d’une conscience de classe, n’est-il pas indispensable de démontrer que la politique de changement permanent des responsables de la gestion des ‘ressources humaines’ (changement d'employeur, de métier, de statut, changement d'équipe, de 'projet'…), dont un des principaux objectifs est de s'opposer à la constitution ou au renforcement des « collectifs de travail », va à l’encontre du développement des relations de confiance indispensables à une meilleure coopération dans le travail

 

De ce point de vue, il semble assez logique qu'on ne peut laisser l'entreprise rendre le salarié seul responsable de la qualité de son travail et de sa réussite personnelle et lui dénier le statut de citoyen au sein de l'entreprise, le droit d'intervenir sur l'organisation du travail, et les critères de gestion. Mais  mener la bataille politique à l'entreprise ne va pas de soi.

Comment redonner confiance dans l'action collective face à la crise de la politique, et face à des méthodes de management visant à faire adhérer le travailleur à la finalité de l'entreprise ?

Comment rassembler face à la division du travail entre les sites d'une même entreprise au niveau mondial, l'utilisation de la sous-traitance, des intérimaires et travailleurs détachés pour diviser les travailleurs au sein même d’un même site de production, et la montée du racisme et du nationalisme qui en découlent ?

Faut-il débattre des questions unificatrices, quel que soit le statut du salarié et qui touchent aussi le citoyen non salarié, comme : quelles richesses (produits et services) doit-on produire ? Quelle utilisation de l'argent ? Quel partage des richesses ? La question du pouvoir et de la propriété risque de nous être opposée assez rapidement. En outre des enquêtes montrent que le premier sujet de préoccupation des salariés n'est pas la finalité de l'entreprise mais plutôt le sens de leur propre travail.

Avant d'aborder la question de la stratégie de l'entreprise et la nécessité pour eux d'intervenir sur cette stratégie et les méthodes de gestion, n'est-il donc pas nécessaire de partir du vécu dans leur travail - une réalité diverse selon le sexe, le statut, le métier, le poste -, de leurs craintes, de leurs aspirations et des valeurs qu'ils cherchent à défendre pour donner sens à leur travail, et faire émerger le 'commun' pour lequel ils sont prêts à se battre ?

 

Encore faut-il qu’il existe encore demain des ‘entreprises’ et des ‘salariés. C’est ce que semble remettre en cause ‘l’ubérisation’ d’un grand nombre de services qui accompagne la révolution numérique, notamment dans le transport, la logistique, le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, les services à la personne. En sous-traitant l’offre de services, tout en remplaçant la plate-forme de réservation par un simple logiciel (dont elle tire ses profits de son seul usage), l’entreprise numérique, sans bureau et sans salarié, ne peut être soumise à aucune norme sociale (disparition du code du travail), ou de qualité des services offerts. Elle permet en revanche une industrialisation de l’organisation des ‘petits boulots’ et une mise en concurrence généralisée, dévastatrice pour la garantie d’un revenu minimum tiré par le prestataire de son activité. La question de la gouvernance face à ce type nouveau d’économie, comme celle de la mise en place d’un revenu minimum d’existence attribué à chacun par la collectivité nationale (et de son mode de financement) sont dès lors posées.

D’un autre coté, comment ne pas voir que les nouveaux ‘travailleurs indépendants’ (le plus souvent des chômeurs et des précaires) qui assurent les services au sein de cette nouvelle économie, ne cherchent pas seulement à créer leur propre emploi dans un contexte de chômage de masse, mais cherchent souvent à sortir de l’exclusion qui les frappe faute des diplômes nécessaires à l’exercice de telle activité et surtout recherchent un modèle d’organisation du travail alternatif au salariat - qui pour eux est synonyme de hiérarchie et de contraintes horaires -, même s’ils doivent pour cela se priver de ‘protection sociale’. En réalité ils sont soumis à des obligations de service, doivent respecter des contraintes d’horaires et voient même évoluer leur revenu à la hausse ou à la baisse selon la notation portée par les clients. Il s’agit donc bien d’un salariat mais hors de tout cadre juridique. Les questions qui nous sont posées sont donc celle d’un dépassement du salariat par l’acquisition de nouveaux droits sur l’organisation du travail dans les entreprises traditionnelles et la réponse aux aspirations à plus d'autonomie dans son travail et à pouvoir maîtriser son rythme de travail, comme le partage entre travail et vie professionnelle, celle de la création de ‘collectif’ et de protection pour ceux qui ne sont pas dans l’organisation ‘entreprise’, et celle de l’invention d’une société inclusive pour pallier la fin des ‘trente glorieuses’ et la disparition de l’ascenseur social.