Les congrès du PCF

Les congrès du PCF
Accueil
 

36e congrès - Le texte - Il est grand temps de rallumer les étoiles

Les statuts du PCF adoptés au 36e congrès

Discours de clôture par Pierre Laurent

Journal CommunisteS n°507 - Spécial 36e congrès - 13 février 2013

Restez informé-e

Chaque semaine, un point sur les initiatives et les débats en lien avec le congrès.

Recevoir la lettre du 36e Congrès

 
 
 

Démocratie et fractionnement de la société par Jean-Paul Lauvergeon

Dans un entretien à RTL en mai 2008, interrogé sur la proposition de Laurence Parisot de relever l’âge légal de départ en retraite à 63 ans et demi, l’ex-président de la République a répondu: «Elle a le droit de dire ça, j’ai dit que je ne le ferai pas. Je n’en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour cela ». Le mensonge électoral n’est pas une nouveauté. Mais lorsqu’il devient une pratique politique systématique, c’est le principe de représentativité qui est atteint et donc la démocratie représentative qui est menacée dans ce qu’elle a de plus essentiel. D’un côté les citoyens, de l’autre leurs représentants qui ne les représentent plus. Ce virus mortifère qui atteint la démocratie s’est exprimé de la manière la plus cynique lors du référendum sur la Constitution européenne. Les Français, les Hollandais ont dit non, on n’en a pas tenu compte. Les Irlandais ont dit non au traité de Lisbonne. Les politiques de presque tous bords les ont quasiment traités de demeurés immatures et, qui plus est, ingrats vis-à-vis d’une Europe qui les auraient sortis du ruisseau. Bref, on est en droit de se demander s’il subsiste un pays au monde où le pouvoir du peuple s’exerce de quelque manière que ce soit.

Et pourtant. Tout le monde aujourd’hui se dit démocrate. Non seulement à travers le monde mais d’un bord à l’autre de l’éventail politique. A tel point que l’on est suspecté de velléités totalitaires si l’on dénonce le caractère oligarchique, et même ploutocratique du pouvoir ; si l’on refuse que la loi du marché libre et non faussé s’impose comme un emblème quasi-divin ; si l’on dénonce l’emprise des grands groupes qui, non seulement achètent les politiciens, modèlent les politiques intérieures et étrangères, mais aussi fabriquent l’opinion publique par les grands médias qui leur appartiennent. A ce niveau, on ne parle plus de lobbying mais de fusion du pouvoir des groupes et du pouvoir de l’Etat : sous-traitance massive au secteur privé de fonctions étatiques, des écoles aux prisons en passant par l’armée, banquiers d’affaires et PDG devenant ministres ou directeurs de cabinets, Etats propriétaires dormants de parts énormes de capital financier, et, par-dessus tout, un pouvoir d’Etat attelé sans vergogne au projet d’accumulation du capital grâce à sa politique fiscale, environnementale, énergétique, sociale et monétaire, sans compter le flot d’aides directes et de soutien à tous les secteurs du capital. Au secteur bancaire en particulier qui, après avoir trompé et ruiné des millions d’épargnants, va engloutir des milliards de dollars et d’euros pour simplement continuer à exister, continuer à spéculer, continuer à s’endetter. On peut comprendre qu’une fraction significative du peuple se sente impuissante face à un tel surdimensionnement du pouvoir de l’argent. Et l’on peut craindre que le peuple ait du mal à se déprendre de cette illusion démocratique savamment distillée par les libéraux qui ont su effacer du langage courant les mots de « classes » et « lutte de classes ». Car même les élections libres, véritables icônes de la démocratie, sont aujourd’hui détournées de leur fonction démocratique par des pratiques de marketing et de management par lesquels se vendent candidats et programmes. La politique devient ainsi un spectacle (avec ses vedettes et experts attitrés lors des soirées électorales) mais aussi un marché, c’est-à-dire un face à face entre des professionnels et des consommateurs.

Ce diagnostic bien incomplet, car limité aux seuls aspects les plus visibles des pratiques politiques, vise à souligner l’ampleur du phénomène de « dé-démocratisation » qu’à entrepris le capitalisme triomphant depuis le dernier tiers du XXème siècle. Or, la démocratie n’existe que pour autant qu’elle cherche à étendre en permanence et dans tous les domaines l’accès à l’égalité et à la citoyenneté. La révolution citoyenne, que nous appelons de nos vœux, propose l’émancipation humaine lors même que l’émancipation politique, conquise de haute lutte, est à nouveau en péril et que la démocratie sociale, elle aussi en régression, est encore largement à conquérir. C’est dire que la révolution citoyenne ne saurait échapper à la nécessité de révolutionner la démocratie. La tâche est urgente. Soyons-en convaincus. Car dans l’hypothèse probable d’un approfondissement de la crise du capitalisme et d’une extension en ampleur et en gravité des désastres sociaux qu’elle génère, on est en droit de se demander si la transition vers un avenir émancipateur pourra se faire dans la tranquillité d’une transition démocratique. Sans compter que la critique de la démocratie parlementaire anémiée pourrait bien basculer vers des solutions autoritaires.

La dimension juridico-politique de la démocratie, c’est-à-dire cette dimension qui renvoie à la souveraineté du peuple et donc à la légitimité du pouvoir, s’étant évaporée, il ne reste plus que sa dimension économico-gestionnaire ou technique de gouvernement. Les institutions étant inchangées, l’illusion démocratique peut jouer à plein. Et le principe de majorité, ou loi du plus grand nombre, sera invoqué sans pudeur pour justifier des politiques au profit d’une infime minorité de nantis. Nous l’avons vu, le mal est si profond que le gouvernement pourra même le cas échéant ne tenir aucun compte de l’avis majoritaire du peuple si celui-ci n’est pas conforme au résultat attendu. Comment un tel déni de souveraineté a-t-il été rendu possible ? Et que devient la société civile quand le peuple n’est plus souverain ?

Dostoïevski disait qu’il n’était pas certain que le peuple préférerait la liberté plutôt que le pain. La vérité, c’est que l’on meurt plus vite d’un manque de pain que d’un manque de liberté. Et si l’on peut évoquer l’idéologie, l’individualisme égocentrique élevé au rang de valeur suprême, et cela conformément à la philosophie libérale, il ne fait cependant aucun doute que cette désaffection populaire pour l’idéal démocratique prend racine dans la détresse physique et morale, présente et future, des victimes de la rationalité néolibérale. La conscience de classe, c’est-à-dire cet écheveau complexe de pensées, de sentiments, de comportements qui s’enracine, se renouvelle, s’enrichit chaque jour sur ces lieux privilégiés du « vivre ensemble » que sont les ateliers, les bureaux, les laboratoires, ne peut survivre, sans une volonté tenace, au champ de ruine que laisse le passage de la tempête libérale. On a tout dit sur les désastres du chômage, ses effets délétères, la drogue, l’alcool, les violences de quartier, les violences d’immeuble, les violences de cage d’escalier, les violences d’appartement, et la fuite ultime vers la violence criminelle ou le meurtre de soi-même. On a tout dit sur la désespérance, la perte de confiance, l’effritement de la personnalité, le doute quant à sa propre humanité, que génère la précarité sans espoir d’en sortir. On a tout dit sur la condition salariale qui semble aujourd’hui destinée à convaincre les plus déterminés (parmi la jeunesse notamment) que ce n’est décidemment pas par le travail qu’ils pourront gagner leur vie dans la dignité. Bien sûr il ne manque pas de professeurs de morale pour les accabler. Y compris chez certains prosélytes bien-pensants d’un certain intégrisme laïc. Ces derniers me font penser à des pompiers qui, après avoir mis le feu, viendraient l’éteindre en y jetant de l’essence. Quand le lien social ne procède plus de l’organisation sociale, quand le salaire ne permet plus d’échapper à l’humiliation de la charité publique, c’est l’esprit grégaire qui prend le relais. Le communautarisme des banlieues est de même nature que celui qui rassemble les riches à Neuilly-sur-Seine. Seule la religion diffère. D’un côté l’Islam, de l’autre l’Argent. Pour le Capital, le prolétaire idéal, c’est l’homme nu. Sans attaches, sans culture, sans passé, sans avenir. Une pure force de travail. Pour atteindre cet idéal (en vérité impossible à atteindre), il faut impérativement « déconstruire » la société civile pour la transformer en simple agrégat. Tout sera mis en œuvre pour briser le lien social, potentiel fédérateur des résistances : la peur en focalisant les caméras sur les faits divers et la délinquance, l’ignorance en inondant le marché d’une culture de pacotille, l’indifférence en banalisant la guerre et la misère sans la moindre explication sur le pourquoi et le comment, la haine de l’autre en valorisant l’identité illusoire des règles, principes et morales aux dépens de l’identité réelle des conditions de vie et de l’égalité des droits. Le racisme rassemble, sublime en quelque sorte, tous ces travers et n’attend qu’une ouverture du droit pour exprimer brutalement, en des formes qu’on n’ose pas imaginer, ces fractures d’une société en crise. N’oublions surtout pas que la xénophobie de l’extrême-droite est encore aujourd’hui bridée par la loi qui en interdit l’expression. Et n’ayons aucun doute que le Front national, comme ce fut le cas avec les lois vichystes d’octobre 1940, ne rêve d’abolir cette loi. On pourrait évoquer aussi la gestion managériale des entreprises qui brise les collectifs de travail pour briser les solidarités naissantes aux sources du syndicalisme, les pratiques d’urbanisation qui montrent que même les démocraties peuvent concevoir des ghettos, l’importance de la population carcérale, révélateur incontournable de ce délitement de la société civile. Et, bien sûr, toute la misère cachée, recluse, dans l’intimité des familles. Car le fractionnement de la société, c’est aussi la honte de dire et montrer, serait-ce dans des collectifs de lutte.

On ne construira pas l’avenir sans un diagnostic précis de l’état de notre société. Même si cela est douloureux. On n’échappera pas non plus à la nécessité de redonner réalité à la conscience de classe en sachant que le capitalisme étend son emprise aujourd’hui à l’ensemble de la société civile. Cela complique singulièrement les choses. Mais cela dessine aussi les contours d’une force sociale infiniment plus importante que la seule classe ouvrière au XIXème siècle. Ne nous laissons pas miner par la nostalgie. C’est aujourd’hui que l’exigence de démocratie sociale prend tout son sens. Car jamais, de par le monde, les salariés n’ont été si nombreux.

Quelle est la cause des malheurs qui accablent une quantité si considérable d'hommes ? Faut-il les imputer à la toute-puissance d'un impitoyable maître ? Mais celui-là « n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon l'avantage que vous lui faites pour vous détruire. D'où a-t-il pris tant d'yeux, dont il vous épie, si vous ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous ? [...] Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous ? ». (Discours de la servitude volontaire - Etienne de la Boétie - 1548)

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

le 04 décembre 2012

    A voir aussi