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36e congrès - Le texte - Il est grand temps de rallumer les étoiles

Les statuts du PCF adoptés au 36e congrès

Discours de clôture par Pierre Laurent

Journal CommunisteS n°507 - Spécial 36e congrès - 13 février 2013

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Prenons le temps de regagner le temps de travail qu’extorque le Capital par Francis Velain

Entre les appels à relire Marx dans une récente Humanité et l’objectif à fonder une nouvelle conscience de classe comme y appelle la base commune, se dessine une volonté de renouer avec une capacité collective d’analyse d’un salariat autonome par rapport à l’idéologie dominante. L’équilibre général de la base commune ne donne pas, me semble-t-il, la place que mérite cette problématique. Mais l’appel est suffisamment net pour que le débat puisse aider à rectifier cet état de fait.

La volonté de doter le salariat de « repères » de classe est nécessaire. Mais le congrès se tient dans une période où le besoin de mesures d’urgences sociales et économiques est fort. Les enjeux de pouvoirs, les dynamiques sociales de résistance, peuvent légitimement accaparer l’attention. Cela peut amener à circonscrire le débat à des besoins de gestion des rapports entre forces politiques, à des enjeux électoraux, à traiter de la situation sociale de manière compassionnelle ou à projeter une réflexion idéaliste et même romantique sur les luttes ainsi que sur les crises et les enjeux assaillant la société. Sur tous ces points, le titre de la base commune et certains passages du texte soumis au débat prêtent à la critique. Le capital n’a pas ce souci. Il affronte la situation avec l’objectif d’en sortir en ayant transformé en profondeur la nature du traitement réservé à la force de travail.

Certains verront dans l’appel à reconstruire une conscience de classe le risque de renouer avec une démarche de changement par le haut, d’un retour à un scientisme marxisant dangereux. D’autres y verront une recherche de lucidité, une volonté de comprendre pour agir au mieux dans les circonstances présentes. Je suis de ceux là. Les Hommes font en règle générale l’Histoire en aveugle. Marx n’a eu de cesse de construire une approche rationnelle pour que les aveugles soient conscients de la marche du monde.

Alors oui recherchons, refondons notre conscience de classe. Mais sur quelles bases ? Faut-il repartir à zéro, faire table rase du passé ? Ou, ce qui renvient au même, ignorer les fondements théoriques de ce concept et son cheminement historique dans la vie réelle ?

On peut certainement se mettre rapidement d’accord sur 2 premiers points :

  1. Il ne suffit pas d’établir un bilan partagé des dégâts du capitalisme. 

  2. Il ne suffit pas de s’en remettre aux colères « populaires » ou aux luttes sociales devenues citoyennes (au titre d’une lecture conceptuelle pas assez débattue d’ailleurs !).

Un troisième point fera sans doute un peu plus débat.

  1. L’essentiel se joue dans la « production » pas dans la redistribution. « La répartition des moyens de consommation n’est jamais que la conséquence de la répartition des conditions de production elles-mêmes. Le mode de production capitaliste, par exemple, consiste en ceci que les conditions objectives de production sont attribuées aux non-travailleurs sous la forme de la propriété du capital et du sol, tandis que la masse n’est propriétaire que de sa condition personnelle de production, la force de travail. Si les éléments de la production sont répartis de cette façon, la répartition des moyens de consommation en résulte d’elle-même. Le socialisme vulgaire […] a hérité des économistes bourgeois l’habitude de considérer et de traiter la distribution comme quelque chose d’indépendant du mode de production […]1 ».
    Cela doit nous amener à évaluer la nature de nos approches et au final nos propositions : sont-elles trop ou trop peu sur l’enjeu du travail de « production » ? Trop ou trop peu sur la régulation, le contrôle des flux, le partage ?

Une chose est certaine : Il faut absolument veiller à ne pas renouer avec les utopies qui se nourrissent des évolutions technologiques.

L’existence de nouveaux outils peut poser la question de la réorganisation de la société pour mieux en tirer parti. Mais pas plus, pas moins que d’autres circonstances sociales ou historiques. L’écroulement du monde romain a conduit par exemple à transformer l’esclavage en servage pour de prosaïques évidences économiques tandis qu’aucune évolution technologique n’explique la fin de Rome.

Jamais la nature technique des outils de travail n’est le fondement de la conscience de la classe. La conscience de classe nait de la conscience des liens entre réalités économiques, rapports sociaux, nécessités sociales et potentialités de travail dont l’Homme dispose.

Les rapports de classe actuels ne doivent rien à la nature des moyens techniques et outils du XVII et XVIIIème siècle. Ils doivent beaucoup à une accumulation primitive du capital marchand et énormément à la lucidité politique qui fut celle de la Bourgeoisie dans une société d’ordres poussée à ses limites en tant que mode de production.

La première phase du Capital ne fut pas celle d’une révolution des moyens et outils de travail. Ce fut la réalisation de ce que les structures sociales de la société d’ordres rendaient impossibles : une rationalisation nouvelle de l’organisation et de la concentration du travail pour pouvoir en démultiplier l’efficacité par une plus grande « coopération ». Cela permit une première phase de transformation des métiers et des qualifications. Puis, peu à peu et sur un rythme allant en s’accélérant par la prise en compte intéressée des avancées scientifiques, il fut possible au Capital d’introduire de plus en plus de nouveaux outils, puis de plus en plus de machines ; ce qui obligea le salariat à abandonner, peu à peu et à jamais, les anciennes qualifications issues du travail de la société d’ordres pour celles désormais exigées, imposées, par le capital. Ce processus de remplacement permanent des qualifications sous impulsion du capital continue aujourd’hui2.

Par rapport à cette dynamique historique, certains extraits de la base commune ressemblent plus à un hymne à l’analyse libertaire qu’à l’analyse marxiste.

L’émancipation ne verra jamais le jour par le miracle du Saint-Graal de la technologie fut-elle numérique, du logiciel et du hardware libres. Pour penser l’émancipation, il faut pouvoir manger le Pouding de Marx, donc vendre le fruit de son travail, ou sa force de travail, sauf à être un exploiteur. Pour la moindre connexion internet libre, il faut trouver quelque part un réseau et pouvoir gaspiller un peu d’énergie. Tout cela repose sur un peu de travail payé d’une manière ou d’une autre ; bien ou mal est une autre question.

Au vue de la technologie à mettre en œuvre pour produire les composants électroniques des smartphones, qui reposent sur les nanotechnologies, ou des moyens techniques à mettre en œuvre pour produire l’énergie à partir du solaire, du vent, du gaz, du nucléaire ou de la force hydraulique ou marée motrice, le petit propriétaire indépendant coopératif de Proudhon ne reverra jamais le jour ! Que certains parviennent par leur intelligence ou leur opportunisme à faire leur place dans la classe capitaliste en profitant des ruptures technologiques ou sociétales3 n’est sans doute pas totalement impossible dans le monde de « liberté et d’initiative » économique du capitalisme. Mais pour que la classe capitaliste se renouvelle de temps en temps et à la marge, il faut que le salariat demeure pour l’éternité !
Il est vrai que les enfants de la bourgeoisie menacés de déclassement cherchent souvent à ouvrir de nouvelles activités capitalistes au cœur du système, en règle générale au nom de la rupture avec lui. Et cela leurs attire souvent la sympathie de quelques prolétaires qui en oublie quelques temps leur appartenance de classe. C’est un classique de l’histoire intergénérationnelle des classes capitaliste et ouvrière bien décrit par Michel Clouscard4 pour ce qui concerne les années 68. Mais cela ne fait jamais disparaitre le salariat !

En tout cas, l’utopie de construire un espace économique autonome du capital est morte à jamais avant même le décès des 1ers socialistes utopiques. Pour accéder aux moyens de production, il faut commercer un minimum avec le Capital ! Que les marchandises proposées sur le marché par le capital développent par certains cotés les capacités d’individualisation, d’autonomie des individus est autre chose.

Les panneaux solaires ou les éoliennes peuvent - peut-être ?! - « libérer » le consommateur de l’insupportable domination du monopole de l’ex-service public d’électricité ou de ses concurrents privés ; mais pas de celle des fournisseurs de cellules voltaïques ou de pales.

Sans Taylor et Ford, pas d’automobile bon marché et pas de civilisation de la mobilité individuelle de masse ! Sans Airbus et les compagnies aériennes, pas de séjours touristiques de masse en Thaïlande, autour de l’Everest ou des temples bouddhistes. Pour le reste, le capital est encore là ; et c’est parce qu’il est encore là que l’on a encore des voitures et des voyages en avion.

Tout le défi du dépassement n’est pas de créer un monde économique alternatif en cachette, dans les caves des cités populaires à coup d’imprimantes 3D, en espérant un jour manger par surprise le monde du capital. Il est de supprimer le Capital en tant que rapport social tout en préservant le niveau de développement des forces productives pour poursuivre le chemin de l’émancipation. Et ce besoin de dépassement devient prégnant tant les questions de sens grandissent aux niveaux des lieux d’exploitation et « sociétal ».

La base commune propose donc à juste titre de construire une conscience de classe qui rassemblerait le monde de la création et du travail. Par cette formule, nous nous attaquons à une division millénaire de la société, plus ancienne que le Capital. Mais il est juste de relever ce défi de ces deux mondes qui ne se comprennent pas assez. Il faut en effet redonner du sens à la vie de l’Humanité.

Aujourd’hui les empiétements du Capital sur le champ des créateurs, amènent ceux-ci à vivre une mise en cause de leur espace d’autonomie, de relative protection contre l’exploitation directe et de mise à distance de la misère du monde du labeur. Tout un édifice construit historiquement, avec et contre l’Etat (Les maisons ou le ministère de la Culture, les universités etc.), avec et contre les exploiteurs (Hier Voltaire et le roi de Prusse, aujourd’hui les universités et les fondations etc.), est menacé alors que grandit le constat « sociétal » que le monde, l’Humanité sont en danger. La notion de « domination/soumission » me semble donc assez bien adaptée pour décrire la situation des créateurs tandis que le terme « exploitation économique5  » décrit la nature profonde des liens du monde du travail au Capital.

Pour pouvoir penser, Les créateurs rejettent la domination/soumission. Pour pouvoir s’émanciper et penser la création, les « laborieux », doivent sortir de l’exploitation et pas seulement de la domination. Voilà, me semble t-il, les termes du défi proposé par la base commune.

 

Nous le relèverons d’autant mieux en travaillant à une analyse lucide sur la signification des réformes structurelles qu’imposent actuellement le Capital dans un certains nombre de secteurs : la recherche et l’enseignement supérieur, la mise en place d’une industrie culturelle au nom des biens immatériels. Partir de l’évolution des rapports contractuels de rémunération des acteurs des industries cinématographique, audiovisuelles, de design, de la communication ou de la recherche peut concourir à faire murir des convergences de vue sur « espaces de liberté et d’exploitation ».

De même, partir des interrogations « que signifie avoir du temps pour créer », « avoir du temps pour penser la création, le mouvement de création et du monde », est sans doute un débat qu’il faudra absolument affronter. Car penser la création est un immense luxe dans la société capitaliste. A vrai dire, c’est un luxe dans toutes les sociétés d’exploitation. Cela nous renvoie donc frontalement au clivage ancestral entre travail intellectuel et travail manuel.

Dans son livre I du capital, au chapitre de la grande industrie, Marx anticipe sur un fait constatable chaque jour un peu plus. Le capital produit, pour ses propres intérêts, un prolétaire qui doit maitriser de plus en plus les connaissances scientifiques de la mécanique, de la physique, de la chimie6.

Pour Marx, l’acquisition par le salariat des connaissances scientifiques des lois de la nature qu’exige le développement du capital, est ce qui permettra au prolétaire de parler d’égal à égal avec ceux qui font de la maitrise de la culture, la marque, la condition et le summum de l’émancipation humaine.

Ce travail de construction d’une « conscience de classe commune » sera donc intéressant et fort difficile. Marx et Engels, ce dernier plus encore que le premier, ont eu à mesurer par eux-mêmes la hauteur de ce défi. Marx en tant que bourgeois intellectuel ; Engels, en tant que bourgeois capitaliste de naissance et en pratique.

«A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par les nécessités et les fins extérieures ; il se situe donc, par sa nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite7. Tout comme l’homme primitif, l’homme civilisé est forcé de se mesurer à la nature pour […] pour conserver et reproduire sa vie. […] La liberté ne peut consister qu’en ceci : [dépenser] le moins d’énergie possible, dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à [la] nature humaine. C’est au-delà que commence l’épanouissement de la puissance humaine […], le véritable règne de la liberté qui, cependant, ne peut fleurir qu’en se fondant sur le règne de la nécessité ».8

Et Marx finit « La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération ».
Ainsi, dans un moment de l’Histoire du capitalisme où la misère et les conditions de travail étaient des plus inhumaines, où la culture était un horizon improbable pour le prolétariat, Marx appelait à ne pas s’enfermer dans des luttes défensives au nom de l’urgence sociale.

« Dans 99 cas sur 100, [les] efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail. […]. La nécessité d'en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l'oblige à vendre [sa force de travail] elle-même comme une marchandise […]. Les ouvriers ne doivent pas s'exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne. Ils ne doivent pas oublier qu'ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets […]. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché.[…] Il faut qu'ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société9 ».

Il me semble que l’enjeu de réduire et de rendre digne le temps de travail nécessaire à la reproduction de la vie peut être un point de départ intéressant pour la réflexion dans la période.

Le capital est mis aujourd’hui en accusation à travers trois grandes réalités sur cet enjeu du travail.

  1. De toute évidence, le travail actuel n’est pas digne, n’est pas conforme à la nature humaine. En témoigne, la souffrance au travail, le fait qu’il ne permet pas toujours d’en vivre, qu’il empoisonne et tue parfois les salariés et les populations.

  2. L’efficacité du travail fait problème. En témoignent les incontestables problèmes de qualité, de sécurité dans l’industrie, le monde médical ou bien encore l’échec scolaire…

  3. Enfin, dernière contradiction majeure : « l’efficacité » du travail se conjugue de plus en plus avec augmentation du temps de travail, sur la journée et la vie.

 

Pour un mode de production qui fait des « gains de productivité » un ressort majeur de son développement historique, il y a peut-être là, la marque d’une limite structurelle.

Aussi : Ne serait-il pas nécessaire de retravailler à partir de ce que Marx appelait la plus value relative, c'est-à-dire la recherche permanente d’une réduction du temps de production pour réduire le salaire, à travers la baisse de la valeur des marchandises (et des moyens de production y afférent) nécessaires à la reproduction de la force de travail ?

 

Cela fait quelques 50 ans, depuis le milieu des années 60, que le Capital n’en finit pas de développer ces fameux de gains de productivité avec un effet d’accélération assez manifeste. Nous ne sommes plus tout à fait dans le temps court, surtout si nous mettons en perspective cette période avec l’histoire des transformations du travail depuis l’émergence des prémisses de la révolution industrielle, des premiers tissages mécanisés, des premières machines à vapeur. Nous commençons à entrer dans le temps long, celui qui œuvre en sourdine à créer des conditions et des besoins nouveaux qui se fracassent sur les rapports sociaux existant, leur logique.

 

La question politique posée à l’Humanité, n’est-elle pas de réussir à mettre en phase les potentialités du travail, les besoins issus de ces 50 dernières années et les rapports sociaux ?
Non parce que le capital serait enfin et définitivement à bout de souffle mais parce que les solutions qu’il propose, et impose, ne sont pas satisfaisantes : tout simplement. Nous avons en la matière nul besoin de renouer avec la thèse du grand soir ou de l’apocalypse sociétal ou de civilisation10 ! Au contraire, en ouvrant le débat sur ce besoin de trouver de meilleures solutions, nous nous positionnerons au centre du débat en répondant de fait aux exigences de démocratie de la société.

 

Cette plus value relative, qui renvoie expressément aux enjeux de la productivité, a trois conséquences.

Deux concernent le salariat : la baisse « objectivement équitable » de la valeur de la force de travail ; c'est-à-dire, à condition identique de satisfaction des besoins sociaux, la baisse des salaires, la baisse de la part des salaires dans le partage des richesses, et le fatal développement d’une armée de réserve, théorisée par certains à travers la notion de taux de chômage incompressible. La troisième, la baisse du taux de profit, concerne d’abord le capital; mais aussi le salariat à travers les remèdes qu’on entend y apporter.

Rajoutons! Plus le Capital réussit à accumuler de plus value relative (et absolue), plus celle-ci a besoin d’un système financier développé pour espérer pouvoir se transformer en capital productif soit toujours directement comme capital réellement productif : c'est-à-dire mettant en relation le travail vivant et des moyens de travail ; soit en tant que capital sous forme de « capital argent » finançant un autre capital financier ou productif. Est-on alors face à une dérive, un phénomène anormal et donc contrôlable, « régulable », voire réversible ? Ou à une étape historique « irréversible » dans le cadre des rapports sociaux actuels, car conséquence du processus de développement du mode de production lui-même ?

N’est-ce pas alors une cassure majeure qui se joue entre le travail nécessaire aux hommes et le travail nécessaire au capital ?

 

Que l’on parte des enjeux de la financiarisation qui obsèdent à l’envie aujourd’hui, ou des enjeux du « travail » que l’on porte beaucoup trop sur le mode de la victimisation11 , la même interrogation sur le sens s’impose. La base commun a donc raison de pointer cet enjeu : du point de vue de la société comme des individus au travail !

Mais alors : Se réapproprier le travail, la communauté de travail, donc l’entreprise, peut-il, doit-il, être au cœur du projet communiste de construire une nouvelle conscience de classe ?

 

Déjà les luttes dans la recherche, l’hôpital public, dans l’industrie (mais ici pas toujours) ne manquent pas de pointer cet enjeu. Mais ne faut-il pas articuler ce besoin d’un travail répondant mieux aux besoins sociaux et le besoin d’économiser toujours mieux la peine et le travail des hommes pour avancer ensemble vers plus d’émancipation ?

 

Aujourd’hui, le problème de fond est que toutes les communautés de travail, publiques, privées, mutualistes, associatives, coopératives, sont sommées d’augmenter leur productivité/plus value relative. Cet effort est retourné contre la société et contre le travail. Il est détourné pour que chaque capital individuel s’accumule le mieux possible, pour que le capital en tant que système se développe.

Ainsi, il faut « économiser » du travail (des « coûts ») dans la recherche, dans l’éducation pour offrir des connaissances, une main d’œuvre dont la « production » aura coûté « moins cher » et seront donc achetées en conséquence. Dans l’industrie, il faut que les sous-traitants se mettent au niveau de productivité des grands groupes pour que ceux-ci puissent réduire leurs coûts d’approvisionnement. Il faut que l’Hôpital public soigne mieux, plus vite et pour moins cher une force de travail qui doit être le plus disponible, c'est-à-dire la plus flexi-sécurisée possible etc.

Les mondialisations capitalistes d’hier prenaient le soin de ne pas développer l’efficacité productive des pays colonisés pour leur imposer le pillage de leurs richesses et l’importation de produits manufacturés. La ruine de leur structure économique qui en a découlé, a créé un vide où s’est niché du capital local ou étranger. Aujourd’hui ces capitaux demandent à croitre comme n’importe quel capital! La mondialisation actuelle est la généralisation à marche accélérée du niveau de plus value relative que les 1ers pays capitalistes ont mis des décennies à obtenir. 12

 

Le capital est un gigantesque système qui récupère tout le temps de travail13 que sait ou peut économiser la société au vu du développement des forces productives. Il faut redonner sens au progrès de l’efficacité des moyens et formes sociales de travail que l’Humanité s’est forgée !

Le temps de travail économisé ne peut être conquis au détriment de l’Homme au travail et de la qualité du travail.14 Le temps de travail, que sait économiser « le travailleur socialisé » de ce début de siècle, doit revenir aux hommes, à la société ; pas au profit.

 

A l’austérité, à la gestion des coûts, n’est-il pas urgent de ré-opposer plus de temps libre et plus de dépenses salariales socialisées15 par la cotisation ; c'est-à-dire toujours plus de profit (donc de « valeur ajoutée » issue du temps de travail non payé) pour la société, toujours moins pour le capital ?

Face à la crise du logement, pour donner une chance à une éventuelle régulation des prix du marché, on pourrait par exemple augmenter la cotisation patronale « 1% logement ». On pourrait envisager une cotisation patronale CSI («Contribution de Solidarité au développement Industriel ») assurant pour une part les ressources du pôle public financier. Les salaires annuels bruts sont de l’ordre de 650 000 millions d’euro par an. Une cotisation guère ruineuse de 0,1%, représenterait une petite collecte annuelle de 650 millions d’euro16 : une goutte d’eau par rapport aux investissements des entreprises non financières (200 Milliard en 2011- source Insee) mais de quoi aider quelques PME.17

 

N’est-ce pas en effet en imposant des mesures radicales de progrès social que l’on sortira de la crise parce que chaque avancée de l’émancipation ouvre toujours de nouveaux espaces pour le travail humain et le développement des individus.18 N’est-ce pas ainsi que, de « l’ouvrier à l’ingénieur », les salariés feront de leurs droits à la dignité, à la reconnaissance et à la maitrise des affaires et des richesses du monde, l’arme ultime contre « la forteresse des marchés », l’axiome des coûts salariaux, la règle monarchique et absolutiste19 des déficits budgétaires et de la dette ?

 

Le monde ouvrier a une longue expérience des souffrances que peut signifier l’accaparation du temps de travail et de son intensité. De nouvelles catégories professionnelles découvrent dans leur propre vie qu’une rationalisation pseudo-scientifique des processus de travail, un recours aux technologies, aux connaissances, n’orientent pas forcement la société dans le bon sens. Le « lean-management20 » s’attaque d’ailleurs désormais au saint des saints des ressources humaines qui découvre que tout travail, y compris le sien, peut être analysé, disséqué, décomposé en tâches élémentaires, simplifiées, parcellisées, et au final sous-traitées. Réduire à la manière de Taylor le temps nécessaire à la « direction » du travail, qu’est-ce sinon se donner les moyens de réserver une plus grosse part au profit ?21

L’exemple vaut pour la fonction publique hospitalière. 350 activités de bases ont été décrites : du pliage des draps au contrôle et simulation de la masse salariale. Avec cela, on réorganise le travail ; on économise des emplois ; on oublie le malade pour produire un acte de soin selon une organisation faussement scientifique du travail ; on baisse les rémunérations au nom des « compétences ».

 

Construire une nouvelle conscience de classe, c’est certainement prendre en compte cette nouvelle donne politique du travail. De ce point de vue, prendre ses distances avec la notion de couches moyennes comme le propose la base commune est une bonne chose. Cette notion sociologique doit tout d’abord être passée au crible de la remarque de Marx rappelée précédemment. Elle classe un groupe de salariés en fonction de son accès à la redistribution des richesses, non en fonction de son rôle dans la production22. Cette catégorisation sert alors essentiellement à définir une politique électoraliste, une offre politique macro-économique et sociétale faisant écho aux modes de consommation de ce groupe.

 

L’appel de la base commune à se tourner vers ces catégories doit donc éclaircir le sens de la démarche proposée vers ces salariés.

  • Est-ce pour faire des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens, des enseignants « des ouvriers comme les autres » au nom d’une certaine prolétarisation de leur niveau de vie, voire de leurs conditions de travail ?

  • Ou pour que chaque salarié se sente utile à agir, avec et dans le PCF, au développement de la base « matérielle» de la société et à la poursuite du processus historique d’économie de travail à partir des avancées scientifiques, technologiques, organisationnelles, culturelles, qui conditionnent le niveau d’émancipation de tous. Cela à partir de la qualification, des moyens, et de la place de chacun dans le travail socialisé ?

 

« Les grands progrès de l’instruction parmi les travailleurs industriels de ce pays amoindrissent chaque jour, la valeur du travail et des qualifications de presque tous les maitres et employeurs, en multipliant le nombre de gens qui en possèdent le savoir professionnel »23. Où en sont aujourd’hui les conditions objectives de l’appropriation du travail par le salariat ?

Et comment prendre appui sur elles pour construire la nouvelle conscience de classe qu’appelle à construire la base commune ?

 

Le capital a imposé la figure du producteur libre et égal et le principe de l’échange « équitable » : deux conditions nécessaires et indispensables à la généralisation d’un échange marchand fondé sur un temps de travail que chaque producteur libre et égal entend économiser au mieux. De fait, il a ouvert à l’obligation de démocratie : un homme, une voix car, sans ce pouvoir de décider de l’organisation de la société, c'est-à-dire des conditions de la production et de l’échange des marchandises, y compris de la force de travail, pas d’égalité, donc pas d’équité dans l’échange, au final pas de liberté24.

Dans un premier temps, le capital a du céder la citoyenneté politique. Il doit céder maintenant la citoyenneté dans l’entreprise. Chacun doit désormais y compter pour un : une voix pour le capital, une voix pour chaque salarié.

 

Là se pose l’enjeu du débat sur la Nation ! On ne sait se battre que là où existent des droits qui n’expriment qu’une longue histoire d’apprentissage de ce qu’est être acteur dans un espace donné où on sait peser ; où on a appris à peser ; où on a fait l’expérience de pouvoir peser.

C’est pourquoi jamais les premières internationales en ont appelés à une république ou une démocratie mondiale ! « Prolétaires du monde entiers unissez-vous ». Ce « Tous ensemble » signifiait alors : Visez tous la conquête des 8 heures et du droit syndical en vous battant là où vous existez en tant qu’acteurs concrets25. Il faut reprendre cette dialectique pour ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

Une Europe plus démocratique et plus sociale, c’est d’abord plus de démocratie concrètement et plus de social en pratique dans chaque pays et chaque entreprise26. Faire reculer le dumping social, la concurrence entre pays, c’est lutter dans chaque pays et chaque entreprise sur des objectifs partagés au plan international par les forces progressistes : partout un salaire minimum interprofessionnel ? partout une durée légale du travail interprofessionnelle ? partout la réduction du temps de travail à 35, 32H, la retraite à 60 ans ?! Etc. Ors, pour n’en rester qu’au terrain syndical, des organisations syndicales espagnoles qui ont trop longtemps accepté l’austérité au nom de la dette, en passant par la CFDT en France et jusqu’aux organisations syndicales nordiques, ces objectifs ne sont pas tout à fait encore pleinement partagés.

 

La proposition de construire une nouvelle conscience de classe appelle à décider de passer du temps sur les problématiques ici trop rapidement traitées.

Le politique a délaissé depuis trop longtemps le terrain de la transformation des rapports sociaux pour réduire son action, sa visée, à la gestion macro-économique des enjeux de société. Le texte de la base illustre à bien des endroits ce positionnement.

Désormais l’objectif de peser sur la nature des rapports sociaux doit redevenir premier. Il faut qu’il le soit dans les travaux du congrès afin que ce soit cet objectif qui guide notre stratégie dans le cadre du front de gauche, dans la perspective des futures élections, dans la reconstruction de notre organisation au niveau des lieux de travail et des quartiers, dans nos propositions.

 

Ce ne sera pas du temps perdu ! Pour gagner du temps, il faut désormais savoir en perdre. Le capitalisme doit lui aussi le comprendre ! Ce qui vaut pour nos choix politiques stratégiques vaut en effet pour la poursuite du processus historique du développement de l’efficacité des forces productives. Ce n’est pas ici que le monde de la création et de la recherche contredira le monde du travail.

Résumé

Oui recherchons, refondons notre conscience de classe comme y appelle la base commune. Sans faire table rase de ces fondements théoriques et historiques. En tout cas, ne cédons pas aux mirages de la révolution par la technologie, fut-elle celle des imprimantes 3D. Ne confondons pas la flexibilité du capital à faire de la place à de nouvelles activités économiques, nécessaires pour transformer la plus value en capital, et le dépassement du capital.

L’Humanité est désormais confrontée à des questions de sens : au cœur du travail exploité et à l’échelle « sociétale ». Oui, plus que jamais, le dialogue doit s’instaurer entre les mondes du travail et de la création. Jusqu’à construire une conscience de classe commune ? Marx et Engels s’y sont essayés pour eux-mêmes avec une certaine efficacité. Ils ont notamment pointé l’enjeu du temps de travail.

Ors, ce qui ne fait plus sens désormais dans la société actuelle, n’est-ce pas justement le sens que donne le capital à l’économie de travail qu’autorisent les forces productives à leur niveau de développement d’aujourd’hui ?

N’est-ce pas à partir de la notion de plus value relative, plus prosaïquement des gains de productivité, que peut se jouer le contenu et la nature de la nouvelle conscience de classe que la base commune invite à construire ? A la fois à partir de la compréhension des économies possibles de temps de travail et de la prise en compte de l’efficacité de travail à disposition de l’Humanité pour affronter les défis qui sont devant elle ?

La cotisation fondée sur le salaire n’est-elle pas un moyen solide de voir l’économie du temps de travail aller à la société plutôt qu’au profit ?

La proposition de la base commune de combattre l’idée de couches moyennes doit certainement aller jusqu’à décider de s’en occuper. Non parce qu’elles se prolétarisent ! Mais parce qu’elles ont un rôle singulier dans ce double processus d’économie de temps de travail et de développement de l’efficacité productive du travail.

 

S’approprier le temps et l’efficacité du travail, le travail lui-même, l’entreprise, n’est-ce pas ce que devra porter la nouvelle conscience de classe ? Les conditions sont-elles réunies dans la société pour y réussir ? Sur chaque question l’enjeu du choix de l’espace de lutte est posé. C’est tout l’enjeu du rapport à la nation et à l’internationalisme.

 

Pour avancer et proposer sur toutes ces problématiques, ne faut-il pas faire des rapports sociaux le premier point de notre réflexion afin que toute notre stratégie de déploiement soit construite à partir de lui, tant pour les échéances électorales, notre apport au front de gauche ou la reconstruction du maillage de notre organisation ?

 

1Critique du programme de Gotha

 

2Néanmoins, ce n’est plus seulement l’expérience pratique du capital sur le travail qui nourrit le plus l’évolution des qualifications. De plus en plus, ce sont les résultats du travail scientifique dont l’essentiel se fait hors de l’entreprise: le patronat est donc menacé de perdre un monopole important sur l’organisation du travail.

 

3Club Med, Nouvelles frontières, la FNAC en leur temps !

 

4Pour commencer lire « Le Capitalisme de la séduction »

 

5« Les travailleurs eux-mêmes.[…] en coopérant à l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard, doit les priver d'une partie de leurs salaires ». Cherbuliez

 

6La sociologie n’existait pas encore en tant que science. Au vu de son utilisation patronale actuelle, on peut sans peine intégrer les sciences humaines dans cette anticipation de Marx.

 

7Pour Marx, avec le développement de l’Homme, des sociétés, des modes de production, « cet empire de la nécessité naturelle s’élargit parce que les besoins se multiplient ».

 

8Le Capital livre III

 

9Salaires, prix et profits

 

10Par exemple, si la dégradation environnementale conduit à dégrader la rentabilité globale des capitaux, le capitalisme saura imposer des actions et des activités écologiques pour s’attaquer au problème.

 

11Lire « Travail, peurs et résistances : critique de la victimisation du salarié »- Isabelle Forno – Editions Syllepse

 

12L’horizon du capital est désormais une productivité convergente à l’échelle du monde. Le capital ne sait alors se développer qu’en imposant partout toujours plus son talon de fer sur le prix de la force de travail et la durée du temps de travail.

 

13Il tend aussi à en récupérer plus en augmentant le temps de travail. Cela ne change pas le travail en tant que tel contrairement à la plus value relative, traitée ici.

 

14L’augmentation nécessaire des qualifications est antagonique avec l’appauvrissement des contenus et contextes de travail.

 

15Sans compter la revalorisation des salaires individuels au titre de l’élévation des qualifications qui concerne autant le SMICARD que le thésard.

 

16Soit une somme comparable à la somme annuelle qu’OSEO parvient à mobiliser au titre du soutien à « l’activité d’innovation ».

 

17Plus de 1500 sur la base du montage financier public/privé moyen obtenu via OSEO en 2011 : 31 Milliards de fond pour 84 000 entreprises, soit en moyenne quelques 370 000 €

 

18Voir les dynamiques économiques suscitées par la création de la sécurité sociale, l’invention des congés payés, la retraite.

 

19Le Parisien 28.09.2012 : « Abeille, l’avoue aujourd’hui : les 3 %, inventés en une heure un soir de juin 1981, ne reposaient sur aucune théorie économique mais, pour cette raison sans doute, il convint parfaitement à François Mitterrand, qui avait exigé, pour faire barrage à ses ministres trop dépensiers, un chiffre rond et facile à retenir. Et voici comment le fondement de notre politique budgétaire, imposé comme une règle d’airain à toute l’Europe, a vu le jour… au doigt mouillé ».

 

20C'est-à-dire la démarche « taylorienne » de parcellisation et banalisation du travail à partir des outils et technologies disponibles afin de simplifier un travail que la spécialisation complexifie et rend indispensable.

 

21Marx livre III du capital : « La production capitaliste en est arrivé à un point où le travail de direction, complètement séparé de la propriété du capital, court les rues.[…] Le salaire de direction, comme tout autre salaire, [diminuait] par suite de la formation d’une classe nombreuse de managers industriels et commerciaux ; ainsi que celui de tout travail qualifié par suite du progrès général qui abaisse le cout de la formation de la force de travail. Le développement de la coopération du coté des travailleurs, et des sociétés par action du coté de la bourgeoisie, a fait disparaitre le dernier prétexte à confondre le profit d’entreprise et le salaire de direction ».

 

22Voir le texte renvoyant à la note 1

 

23Note du livre III du capital

 

24En période de crise structurelle, le patronat ne se contente plus de déléguer à des partis politiques de confiance la gestion politique. Il y intervient directement : d’où sa transformation de CNPF en MEDEF

 

25« Pour pouvoir ne serait-ce que lutter, la classe ouvrière doit s’organiser chez elle en tant que classe […] Le territoire immédiat du combat est son pays. C’est dans cette mesure que la lutte des classes est nationale, non dans son contenu, mais dans sa forme comme le dit le manifeste communiste ». Critique du programme de Gotha – Karl Marx

 

26C’est de plus le seul vrai barrage aux dérives populistes et fascistes qui se nourrissent des reculs de vie réels dans l’espace où les gens se sentent quelque peu acteur.

 

 

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le 23 octobre 2012

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